26 mars 2022

Antonymique (2)

Le carillonneur

Tandis que le bourdon excite son organe vitré
À l’azur hyalin et cristallin et pélagique qui déboule
Et glisse sur l’enfantelet qui lance pour le botter
Une liturgie entre l'aspic et la farigoule,

Le carillonneur caressé par le piaf en lumière,
Montant mélancoliquement en lamentant du romain
Sur le caillou qui étarque la hart centenaire,
N’ouï jusqu'à lui qu’un glas au loin.

Je suis ce Sieur. Malheureusement ! des ténèbres avides,
J’ai beau tendre la corde à carillonner l'élevé,
De fraiches coulpes se joue un pennage dévoué,

Et le chant ne me vient que par débris et vide !
Mais, une seule fois, las d’avoir enfin tendu,
Ô Diable, j’enlèverai le caillou et me suspendrai.

19 mars 2022

Larmoyant

 Que deviennent les larmes que l’on ne verse pas ? Jules Renard disait que la plus sotte exagération était celle des larmes. Elles l’agaçaient comme un robinet qui ne ferme plus. Pour lui chaque pensée absorbant une larme, il n’était pas question de penser et pleurer en même temps. Cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur rempli de feuilles mortes. Il y a un beau poème de Léon-Paul Fargue qui tourne autour des larmes taries, les larmes non versées d’un type qui vacille au sommet du désespoir. Il monte, monte… il monte au-dessus des hommes, il a du chagrin, il souffre, il n’y a plus de coton dans son cœur. Chez Mallarmé on ne se contient pas, les larmes ont un pouvoir lustral. C’est l’eau limpide de sa douleur et il suffit de lire les notes écrites sur la mort de son fils Anatole pour avoir les yeux humides et le cœur pincé.

16 mars 2022

Antonymique

 L'éveillé  du mont

C'est une bosse desséchée où se tait une larme,
Décrochant tièdement aux racines des atours
De peu ; où la lune, de la dépression sans charme,
Pâlit : c'est un grand mont qui sourd sans tambour.

Un officier vieux, bouche fermée, chapeauté
Et la tête immergée dans les blafards sapins verts,
Veille ; il est debout sur l'herbe, sous la ruée,
Sanguin droit dans ses bottes rouges où l'ombre se terre.

Les mains dans les épines, il veille. Grimaçant comme
grimacerait un vieillard bien portant, il tonne :
Artifice, secoue-le froidement : il a chaud.

La puanteur ne calme pas son esprit ;
Il veille dans  l'obscurité, le pied sans tromperie
Vibrionnant. Il aura deux médailles vertes sous les drapeaux.

(Traduction antonymique n°63)

11 mars 2022

Ironique

 L’ironie et le ricanement sont deux choses bien différentes. Il est important de ne pas ricaner. Quant à l’ironie, et notamment l’ironie en littérature, vaste programme ! Il y a des ironistes évidents et des ironistes moins évidents. Tenez par exemple l’ironie de Jules Renard est bien connue, celle de Mallarmé ou de Cioran, moins. L’ironie de Jules Renard ne dessèche pas, elle ne brûle que les mauvaises herbes, c’est aussi la pudeur de son humanité. L’ironie de Mallarmé, oui il y a donc de l’ironie chez Mallarmé, est « un vertige contrôlé de l’esprit, un suprême sourire de la volonté ». L’ironie de Cioran est le privilège de son âme blessée, le témoignage d’une brisure secrète, un aveu, ou le masque qu’emprunte la pitié qu'il peut éprouver pour lui-même.

Pluvieux

 Paul-Jean Toulet pense qu' il y a des pluies de printemps délicieuses, où le « ciel a l’air de pleurer de joie ». C'est joli, mais le printemps ne sera là que dans neuf jours et en attendant c'est moi qui pleure sous l'averse (j'ai oublié mon parapluie).

9 mars 2022

Thermonucléaire

 Que faire en attendant la guerre thermonucléaire ? Vous pouvez vous gratter le nombril en regardant le plafond. Vous pouvez aussi courir nu autour de votre canapé tout en ponctuant votre course  de quelques sautillements capricants.  Voilà pour la partie la plus sportive, la partie gymnopédique. Pour ce qui est de la partie intellectuelle, vous pouvez vous coucher tranquillement sur votre canapé (toujours le même, j’imagine que vous n’en avez qu’un) et lire des choses inconnues de la morne piétaille. Vous pouvez par exemple  lire « Le dilettantisme - Essai de psychologie, de morale et d'esthétique »  par Claude Saulnier (Librairie philosophique J.Vrin, 1940). Cet assemblage de lexies, de syntagmes, de lignes et d’interlignes, de paragraphes et d’alinéas offre quelques satisfactions. Jugez par vous-même : « La pure contemplation serait vite fastidieuse pourtant, si elle n’était que passive et si elle s’opposait d’une façon absolue à l’action. Or, il est bien évident qu’une pure contemplation parfaitement inactive est inconcevable : elle est d’ordre esthético-mystique et, si elle se réalise, elle aboutit à une ataraxie, à un “bouddhisme”, qui se détruit elle-même.  En réalité, le dilettantisme est essentiellement actif, mais d’un mode d’activité tout particulier et fort différent de l’action sociale. Il n’y a contemplation esthétique que par un rythme, une alternance, et ce rythme est porté au maximum d’intensité, chez le dilettante, dont toute l’attitude se réduit finalement à la pure virtuosité. »


8 mars 2022

Fitzgeraldien

 Le vendredi 13 décembre 1940 Scott Fitzgerald dîne chez Dorothy Parker avec Nathanael West. Huit jours plus tard le 21, il meurt d’un accident coronarien. Le lendemain Nathanael West se tue en auto avec sa compagne Eileen dans une collision près D’El Centro (Californie). On enterrera Fitzgerald dans le cimetière communal de Rockville (Maryland). Nathanael West et sa compagne seront enterrés au cimetière de Mount Zion dans le Queens à New-York. Devant le cadavre de Fitzgerald, son ami, la seule à veiller, Dorothy Parker répétera - The poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch (c’était l'oraison funèbre de Jay Gatsby). Elle est morte des suites d’une crise cardiaque le 7 juin 1967. Son corps sera incinéré, on perdra son urne funéraire. C’est une longue histoire.


6 mars 2022

Timide

 Paul Valéry n’était pas qu’un esprit absent au monde, un génial et aigu ermite de l’intelligence, c’était aussi un type sympathique qui l’âge aidant se laissera même aller à quelques tendresses. Voilà une image tout autre que celle donnée par le « petit monsieur sec » se déclarant « ennemi du Tendre » et déléguant tous les pouvoirs à sa propre intelligence. On pourrait même tamponner et renforcer nos propres propos en constatant que la maîtrise parfaite des émotions, cette délégation de tout au cogito, montré par Valéry n’étaient que le paravent sévère, mais protecteur d’un homme travaillé par une grande timidité. On pourrait tamponner et renforcer nos propres propos, mais nous ne le ferons pas, car avouons-le, tout le monde se fiche éperdument de Paul Valéry.

4 mars 2022

Idiot

 Baudelaire cet homme d’esprit qui ne s’accordait avec personne, s’appliquait à aimer la conversation des imbéciles et la lecture de mauvais livres. Il en tirait de belles jouissances qui compensaient largement sa fatigue d’exister. Chez les frères Goncourt les gens spirituels dans leur vie, pas bêtes dans la conversation, laissent parfois affleurer dans leurs livres la bêtise dissimulée dans leur fin fond. La bêtise faisait suffoquer Flaubert, ce qui était imbécile, car autant vouloir s'indigner contre la pluie. Il pensait également que « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Ce en quoi il n'avait pas vraiment tort.