11 septembre 2022

Diaristique

Après une longue et pénible chasse à la coquille, voilà « mon » livre. C'est un vague Journal partiellement expurgé de l'intime où il est surtout question de météorologie, de livres certainement un peu mal lus, de quelques voyages plus ou moins exotiques, du morne agrégat du quotidien et des larges vicissitudes du labeur rémunéré. Ce vague Journal vous n'êtes pas obligés de le lire entièrement. Vous pouvez l'ouvrir au gré du hasard, picorer dedans, vous laisser emporter ou pas. Vous n'êtes même pas obligés de l'ouvrir. Vous pouvez par exemple l'utiliser pour caler une commode chiquement boiteuse. Bref, vous pouvez faire tout ce que vous voulez avec lui.

Je ne me suis pas enquiquiné pour la couverture, me contentant d'un minimalisme lactescent de bon aloi. Ma petite affaire n’a pas d'index, son prix est de 22.54 €  et elle est commandable à cette adresse.

L'investissement est un peu excessif, mais mon train de vie ne cesse pas d'enfler, alors faites un petit effort. Merci d'avance.

P.-S. Ma chasse aux coquilles aura été bien vaine. Ouvrant mon machin diaristique à la page 220 j'en dénombre pas moins de deux. Dieu que tout cela est fatigant !


26 mars 2022

Antonymique (2)

Le carillonneur

Tandis que le bourdon excite son organe vitré
À l’azur hyalin et cristallin et pélagique qui déboule
Et glisse sur l’enfantelet qui lance pour le botter
Une liturgie entre l'aspic et la farigoule,

Le carillonneur caressé par le piaf en lumière,
Montant mélancoliquement en lamentant du romain
Sur le caillou qui étarque la hart centenaire,
N’ouï jusqu'à lui qu’un glas au loin.

Je suis ce Sieur. Malheureusement ! des ténèbres avides,
J’ai beau tendre la corde à carillonner l'élevé,
De fraiches coulpes se joue un pennage dévoué,

Et le chant ne me vient que par débris et vide !
Mais, une seule fois, las d’avoir enfin tendu,
Ô Diable, j’enlèverai le caillou et me suspendrai.

19 mars 2022

Larmoyant

 Que deviennent les larmes que l’on ne verse pas ? Jules Renard disait que la plus sotte exagération était celle des larmes. Elles l’agaçaient comme un robinet qui ne ferme plus. Pour lui chaque pensée absorbant une larme, il n’était pas question de penser et pleurer en même temps. Cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur rempli de feuilles mortes. Il y a un beau poème de Léon-Paul Fargue qui tourne autour des larmes taries, les larmes non versées d’un type qui vacille au sommet du désespoir. Il monte, monte… il monte au-dessus des hommes, il a du chagrin, il souffre, il n’y a plus de coton dans son cœur. Chez Mallarmé on ne se contient pas, les larmes ont un pouvoir lustral. C’est l’eau limpide de sa douleur et il suffit de lire les notes écrites sur la mort de son fils Anatole pour avoir les yeux humides et le cœur pincé.

16 mars 2022

Antonymique

 L'éveillé  du mont

C'est une bosse desséchée où se tait une larme,
Décrochant tièdement aux racines des atours
De peu ; où la lune, de la dépression sans charme,
Pâlit : c'est un grand mont qui sourd sans tambour.

Un officier vieux, bouche fermée, chapeauté
Et la tête immergée dans les blafards sapins verts,
Veille ; il est debout sur l'herbe, sous la ruée,
Sanguin droit dans ses bottes rouges où l'ombre se terre.

Les mains dans les épines, il veille. Grimaçant comme
grimacerait un vieillard bien portant, il tonne :
Artifice, secoue-le froidement : il a chaud.

La puanteur ne calme pas son esprit ;
Il veille dans  l'obscurité, le pied sans tromperie
Vibrionnant. Il aura deux médailles vertes sous les drapeaux.

(Traduction antonymique n°63)

11 mars 2022

Ironique

 L’ironie et le ricanement sont deux choses bien différentes. Il est important de ne pas ricaner. Quant à l’ironie, et notamment l’ironie en littérature, vaste programme ! Il y a des ironistes évidents et des ironistes moins évidents. Tenez par exemple l’ironie de Jules Renard est bien connue, celle de Mallarmé ou de Cioran, moins. L’ironie de Jules Renard ne dessèche pas, elle ne brûle que les mauvaises herbes, c’est aussi la pudeur de son humanité. L’ironie de Mallarmé, oui il y a donc de l’ironie chez Mallarmé, est « un vertige contrôlé de l’esprit, un suprême sourire de la volonté ». L’ironie de Cioran est le privilège de son âme blessée, le témoignage d’une brisure secrète, un aveu, ou le masque qu’emprunte la pitié qu'il peut éprouver pour lui-même.

Pluvieux

 Paul-Jean Toulet pense qu' il y a des pluies de printemps délicieuses, où le « ciel a l’air de pleurer de joie ». C'est joli, mais le printemps ne sera là que dans neuf jours et en attendant c'est moi qui pleure sous l'averse (j'ai oublié mon parapluie).

9 mars 2022

Thermonucléaire

 Que faire en attendant la guerre thermonucléaire ? Vous pouvez vous gratter le nombril en regardant le plafond. Vous pouvez aussi courir nu autour de votre canapé tout en ponctuant votre course  de quelques sautillements capricants.  Voilà pour la partie la plus sportive, la partie gymnopédique. Pour ce qui est de la partie intellectuelle, vous pouvez vous coucher tranquillement sur votre canapé (toujours le même, j’imagine que vous n’en avez qu’un) et lire des choses inconnues de la morne piétaille. Vous pouvez par exemple  lire « Le dilettantisme - Essai de psychologie, de morale et d'esthétique »  par Claude Saulnier (Librairie philosophique J.Vrin, 1940). Cet assemblage de lexies, de syntagmes, de lignes et d’interlignes, de paragraphes et d’alinéas offre quelques satisfactions. Jugez par vous-même : « La pure contemplation serait vite fastidieuse pourtant, si elle n’était que passive et si elle s’opposait d’une façon absolue à l’action. Or, il est bien évident qu’une pure contemplation parfaitement inactive est inconcevable : elle est d’ordre esthético-mystique et, si elle se réalise, elle aboutit à une ataraxie, à un “bouddhisme”, qui se détruit elle-même.  En réalité, le dilettantisme est essentiellement actif, mais d’un mode d’activité tout particulier et fort différent de l’action sociale. Il n’y a contemplation esthétique que par un rythme, une alternance, et ce rythme est porté au maximum d’intensité, chez le dilettante, dont toute l’attitude se réduit finalement à la pure virtuosité. »


8 mars 2022

Fitzgeraldien

 Le vendredi 13 décembre 1940 Scott Fitzgerald dîne chez Dorothy Parker avec Nathanael West. Huit jours plus tard le 21, il meurt d’un accident coronarien. Le lendemain Nathanael West se tue en auto avec sa compagne Eileen dans une collision près D’El Centro (Californie). On enterrera Fitzgerald dans le cimetière communal de Rockville (Maryland). Nathanael West et sa compagne seront enterrés au cimetière de Mount Zion dans le Queens à New-York. Devant le cadavre de Fitzgerald, son ami, la seule à veiller, Dorothy Parker répétera - The poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch (c’était l'oraison funèbre de Jay Gatsby). Elle est morte des suites d’une crise cardiaque le 7 juin 1967. Son corps sera incinéré, on perdra son urne funéraire. C’est une longue histoire.


6 mars 2022

Timide

 Paul Valéry n’était pas qu’un esprit absent au monde, un génial et aigu ermite de l’intelligence, c’était aussi un type sympathique qui l’âge aidant se laissera même aller à quelques tendresses. Voilà une image tout autre que celle donnée par le « petit monsieur sec » se déclarant « ennemi du Tendre » et déléguant tous les pouvoirs à sa propre intelligence. On pourrait même tamponner et renforcer nos propres propos en constatant que la maîtrise parfaite des émotions, cette délégation de tout au cogito, montré par Valéry n’étaient que le paravent sévère, mais protecteur d’un homme travaillé par une grande timidité. On pourrait tamponner et renforcer nos propres propos, mais nous ne le ferons pas, car avouons-le, tout le monde se fiche éperdument de Paul Valéry.

4 mars 2022

Idiot

 Baudelaire cet homme d’esprit qui ne s’accordait avec personne, s’appliquait à aimer la conversation des imbéciles et la lecture de mauvais livres. Il en tirait de belles jouissances qui compensaient largement sa fatigue d’exister. Chez les frères Goncourt les gens spirituels dans leur vie, pas bêtes dans la conversation, laissent parfois affleurer dans leurs livres la bêtise dissimulée dans leur fin fond. La bêtise faisait suffoquer Flaubert, ce qui était imbécile, car autant vouloir s'indigner contre la pluie. Il pensait également que « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Ce en quoi il n'avait pas vraiment tort.

28 février 2022

Shakespearien

 Shakespeare pose parfois de drôles de questions. Par exemple, il cherche à savoir « où va la blancheur lorsque la neige fond ? » Ce n’est pas vraiment idiot, c’est même une belle interrogation poétique, et Shakespeare est aussi un grand poète. J’ai envie de lui répondre qu’il y a peut-être un peu de la blancheur de la neige fondue dans la Brise Marine de Mallarmé, dans cette jeune femme allaitant son enfant, dans ce papier vide défendu par du lactescent. J’ai envie de lui répondre cela, mais je me trompe peut-être : je n’ai pas lu tous les livres.

6 février 2022

Rêveur

 Platon répète à qui veut bien l’entendre que les hommes vivent dans un rêve. Pindare pense que l’homme est le rêve d’une ombre. Pour Shakespeare nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les songes, et notre vie bien courte a pour frontière le sommeil. Pessoa enroule le monde autour de ses doigts comme on pourrait jouer avec un fil ou un ruban. Il rêve à sa fenêtre.

5 février 2022

Heureux

 Pour Michel Houellebecq il ne faut pas avoir peur du bonheur, car il n’existe pas. Franz Kafka pense lui qu’il existe une possibilité de bonheur, et même de bonheur « absolu ». Il suffit de croire à quelque chose d’indestructible en soi et de ne pas chercher à l’atteindre. Chez Lao Tseu le bonheur naît du malheur, chez Nietzsche c’est le son d’une cornemuse, chez Jules Renard « le bonheur c’est de le rechercher ». Tchekhov est triste d’être heureux. À son habitude, Mallarmé fait semblant de tout compliquer. Pour lui le bonheur est une léthargie céleste qui constitue tout à la fois un modèle et un obstacle : il voudrait pouvoir oublier son âme dans l’insensibilité de l’azur et des pierres. Quant à moi, ça va à peu près, je sifflote en repeignant le plafond.


4 février 2022

Humoristique

 Jules Renard est un humoriste diablement sautillant, mais c’est aussi un homme de bonne mauvaise humeur pour qui l’ironie est la pudeur de l’humanité. Chez Erik Satie on peut selon sa fantaisie ne choisir que ce qui est rigolo dans l’existence. On évite ainsi plus d’un embêtement, on coupe au Service Militaire, on s’excuse aux enterrements, on ne règle pas sa couturière. Pour Georges Perros on a de l’humour dans la mesure où « l’autre » ne s’en aperçoit pas. Schopenhauer (Arthur) pense que l’humour repose sur une disposition particulière de l’humeur, où sous toutes ses formes, il remarque une « forte prédominance du subjectif sur l’objectif, dans la manière de saisir les objets extérieurs ».   Henri Roorda constate que quand on lit les théoriciens du rire, on ne rit plus trop. Quant à moi, j’essaye d’être à côté, sans exagération ni hyperbole, dans une ironie plaisante et sentimentale, une ironie inachevée tournicotant autour d’un compère complice. C’est ce que j’appelle humour.

3 février 2022

Malin

 Répétez cent fois ces mots après moi : « le choucas tchèque Kafka ». Rajoutez des congas, des maracas, un marimba. Mettez un chapeau de paille, vous allez prendre un coup de soleil. La Mitteleuropa s’éloigne voilà les Antilles.


2 février 2022

Tempéré

 Pour Hippocrate, un vieux médecin grec qui connaissait plein de choses, le froid est l' ennemi des os, des dents, des parties nerveuses, de l’encéphale et de la moelle épinière. Le chaud est par contre l'ami de tout ça. Permettez moi d'avoir quelques doutes. J'ai plutôt l'impression que le froid conserve tandis que le chaud conduit à une bien inévitable putréfaction. Bon je raisonne ainsi parce que mon encéphale est indéniablement congelé, ce qui nous avance bien. Finalement la solution dans toutes ces histoires de température c'est le tempéré. Sur l'île de Madère, les autochtones ont l'air intelligent et doux.


1 février 2022

Philosophique

 Le labeur derrière moi je fais un petit tour dans le Monde comme volonté et comme représentation de l’ami Schopenhauer. Voilà une somme replète où les idées fusent. Tenez par exemple parmi ces idées celle-ci : pour Schopenhauer « la musique pourrait (en quelque sorte) subsister sans que l’univers existât ». Drôle d’idée, qui semble de prime abord plus poétique que philosophique. Idée qui semble potentiellement  absurde,  mais qui bien évidemment ne l’est pas. Pour Schopenhauer l’univers non existant  où la musique existe n’est pas une abstraction parnassienne c’est « simplement » un ailleurs indépendant du (monde) phénoménal, un ailleurs faisant fi de l’interaction du cogito, mais qui fait directement avec la volonté : « La musique, en effet, est une objectivé, une copie aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde, que le sont les Idées elles-mêmes dont le phénomène multiple constitue le monde des objets individuels. Elle n’est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes. C’est pourquoi l’influence de la musique est plus puissante et plus pénétrante que celle des autres arts : ceux-ci n’expriment que l’ombre, tandis qu’elle parle de l’être ».