20 novembre 2013

Chatouilleux

Malone Meurt de Samuel Beckett est posé sur ma table de cuisine. Je bois un thé russe. Dehors il fait déjà noir, trop noir. J’ouvre le livre au hasard. Je mets le nez dedans. Je le hume. Me voilà plein d’une sourde satisfaction. Il faudrait que je relise ce livre. Je le referme. Je regarde sa belle couverture lactescente. Ce titre en beaux caractères bleus Klein. Cette petite étoile de chez Minuit. Une gorgée de thé. Derrière mes rideaux il fait encore plus sombre. Le froid est là, il me chatouille presque.

17 novembre 2013

Humain

« … Car l’adjectif humain m’est aussi suspect que le substantif abstrait humanité. Ni l’humain, ni l’humanité, ni l’adjectif simple, ni le substantif abstrait, mais le substantif concret : l’homme. L’homme en chair et en os, celui qui naît, souffre et meurt — surtout meurt — celui qui mange, boit, joue, dort, pense, aime ; l’homme qu’on voit et qu’on entend, le frère, le vrai frère ». (Miguel De Unamuno - Du Sentiment tragique de la vie)

11 novembre 2013

Espacé

Je vis dans un interstice où passe l’univers et jamais le monde.

10 novembre 2013

Banal

Il faut respecter la banalité, elle est éternelle.

6 novembre 2013

Pragmatique

J’enterrerai mon âme puis j’irai dîner en ville.

2 novembre 2013

Salvateur

Il y a deux choses qui peuvent sauver un homme : l’estime qu’il se porte lui-même, l’autodérision.

1 novembre 2013

Primesautier

Jour des saints. Morne plaine. Nuit précoce.

26 octobre 2013

Cochinchinois

« En Cochinchine, lorsque quelqu’un dit Doji (j’ai faim), les gens courent comme s’il y avait le feu pour lui apporter à manger. Dans bien des régions d’Allemagne, un besogneux pourrait dire: j’ai faim, cela lui serait à peu près aussi utile que s’il disait Doji. » (Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes)

24 octobre 2013

Introversif



L'auteur en son intérieur - Près de Lyon (France)

20 octobre 2013

Intériorisé

« À l’exclusion du sexuel, la nudité est naturelle dans la salle de bains et la chambre ; possible aux toilettes ; furtive dans le salon et l’entrée, qu’il faut traverser pour rejoindre la salle de bains ; incongrue dans la cuisine ou le bureau ; désagréable dans la cave. Le plaisir d’être nu chez soi est 1 performance douce. Le cauchemar : le camp de nudistes, attentat contre l’érotisme, qui culmine dans la supérette où l’on fait ses courses à poil. » (Thomas Clerc, Intérieur)

19 octobre 2013

Dénoué

Notre âme prisonnière des liens du corps il faudrait que nous sachions nous en libérer pour devenir libres, détachés comme hors de nous même, à des altitudes scrutatrices.

18 octobre 2013

Fanfaron

On ne voit Robert Walser que comme un petit bonhomme un peu sombre mort sous la neige une journée de Noël. Pourtant, il n’était pas si sombre que cela (il n’était pas si petit non plus). Il était même plus lumineux que toute autre chose. Un marcheur joyeux, un peu folâtre, un peu fanfaron, loin de ce qu’il y a de pire dans la vie.

16 octobre 2013

Aphasique

Permettez-moi d'être aussi aphasique que l'époque. Elle l'est bien elle.

14 octobre 2013

Thaumaturgique

Nabokov ? Un thaumaturge trilingue fier de tout son toutim.

13 octobre 2013

Utopiste

« Il était une fois un monde dans lequel tout allait très lentement. Une agréable indolence, saine, aimerait-on dire, dominait l’existence. Les hommes vivaient en quelque sorte dans l’oisiveté. Ce qu’ils faisaient, ils le faisaient pensivement et lentement. Ils ne se démenaient pas de manière inhumaine et excessive, ne se sentaient pas du tout tenus ni obligés de s’escrimer et de se tuer à la tâche. Nulle hâte, nulle agitation ni précipitation intempestives ne régnaient parmi ces gens. Personne ne se fatiguait particulièrement, et c’est bien pour cela que la vie était aussi riante » (Robert Walser- Vie de poète)

12 octobre 2013

Renaissant

Les sinistres zélateurs des diverses révolutions ayant essaimé depuis trois siècles se fourvoient « royalement », il n’y a que la RENAISSANCE qui vaille !

7 octobre 2013

Walserien

Les petites histoires de Robert Walser en valent de plus grandes chez d’autres. C’est un raconteur rayonnant, un marcheur aérien, un serviteur heureux. Ses gaietés ne lui surviennent ni sur commande, ni pas désir, elles sont là, tout à coup, prête à disparaitre aussi capricieusement qu’elles ont surgit.

28 septembre 2013

Cordial

« Si vous vouliez dissuader quelqu’un de boire son dixième whisky, vous pourriez fort bien lui donner une cordiale bourrade en lui disant : - allons, courage, soyez un homme ! Mais en revanche, pour dissuader un crocodile de manger un dixième explorateur, personne ne songerait à lui donner une cordiale bourrade en lui disant : - allons, courage, soyez un crocodile ! » (G. K. Chesterton)

20 septembre 2013

Préjugeant

Les Allemands de la Volga sont trop Allemands pour être honnêtes.

16 septembre 2013

Impraticable

Robert Benchley prétend n’aimer ni les animaux ni les enfants ce qui le différencie notamment d’Adolf Hitler.

7 septembre 2013

Aristocratique

J’aime trop le confort, ne comptez par sur moi pour aimer la révolution.

5 septembre 2013

Apocryphe

Je voudrais me coucher dans mon berceau d'écriture, retrouver la simplicité exemplaire des primitifs xylographes.

23 août 2013

Nabokovien

Ada sent le coton humide, l’aisselle moussue et les nénuphars (comme la folle Ophélie).

18 août 2013

Hygiéniste

« Et c’est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l’existence, qu’approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu’elles sont sans mystère et sans beauté ; c’est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n’est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi — comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n’était pas grand’chose — pour nous résigner à la mort. » (Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs)

4 août 2013

Cannabicole

Une nuit d’emprise cannabique le poète Paul Jean Toulet jeta quelques chaises dans le lac du bois de Boulogne afin que les poissons puissent s’y asseoir. Voilà.

1 août 2013

Primesautier

Exister c’est périr ; c’est mourir que de vivre.

27 juillet 2013

Caniculaire

Par temps de grande chaleur, l’homme s’emmaillote dans sa propre mollesse puis il attend et espère, un filet d’air, un petit vent frais. Il ne lui viendrait même pas à l’idée d’aventurer un orteil en dehors de son catafalque d’apathie.

16 juillet 2013

Plaisancier

À bord du Mermoz (légendaire paquebot affrété par les croisières Paquet), l’ambiance est au beau fixe. La mer est d’huile et l’équipage plus multinational qu’un banquet de traducteurs de l’ONU. Approchant des côtes du Spitzberg quelques petites vagues commencent à rouler doucement. Le passager de base laisse des « loups » dans les toilettes tandis que sur le rivage des pingouins se dandinent comiquement. On entend craquer les glaciers, grogner les ours ...

14 juillet 2013

Nabokovien

Les triplets et dracunculets héraldiques se rencontrent souvent dans les familles trilingues.

9 juillet 2013

Primesautier

« Ce globe est un abîme de tristesse, et tout ce que nous gagnons à fouiller ses profondeurs, c’est de découvrir des inscriptions funéraires et des cimetières. La mort est à la base de toute chose et nous ne cessons de creuser comme si nous recherchions l’immortalité. » (Eugénie de Guérin)

1 juillet 2013

Scrutateur

Emil Cioran ne parvenait pas à descendre plus bas que son néant. C’est pourquoi il restait juste au-dessus dans un léger surplomb scrutateur.

30 juin 2013

Inconvenant

Lui et Elle sont assis sur un banc, dans l’allée de tilleuls.
 
ELLE : Désirez-vous m’embrasser ?
LUI : Oui, mademoiselle...
ELLE : Sur la main... ?
LUI : Non, mademoiselle.
ELLE : Sur la bouche... ?
LUI : Non, mademoiselle.
ELLE : Oh ! vous êtes inconvenant...
LUI : Je pensais : sur le bord de votre robe.

Elle pâlit...
 
(Peter Altenberg, Dialogue)

29 juin 2013

Psychiatrique

La psychose vous fait souvent regarder de biais en société. La névrose n’offre quant à elle rien de bien sautillant. Cela dit, il paraîtrait que l’une soigne de l’autre et réciproquement. Alors, allons-y gaiement ! Soyons tout à la fois psychotiques et névrosés !

22 juin 2013

Polonais

Conrad est un Kafka homérique sorti au grand air. Il navigue dans les flexuosités les plus boueuses de la modernité et se faisant il vous permet de mieux comprendre le « renfermé » de son petit collègue à chapeau rond.

20 juin 2013

Malin

Concernant l’existence, l’évitement me semble primordial.

17 juin 2013

Perspicace


On espère en espérant
Qu’arrivera le moment
Où tout sera terminé
Sans plus rien à espérer

(Chanson populaire vénitienne)

16 juin 2013

Libre

En un sens l'esclave est libre, il est dégagé de la moindre responsabilité, se contente d’être une chose et n’est jamais encombré par son MOI.

10 juin 2013

Ennuyé

Prévenez-moi si la vie commence
je ne voudrais pas rater ça
les heures deviennent longues
entre les apéritifs.
 
(Jean Pierre George - Je m’ennuie sur terre)

9 juin 2013

Perdu

Vivre c’est se perdre, l’accepter c’est déjà se retrouver.

8 juin 2013

Dénoué

Je vous recommande l’absence d’ « idées », le voyons voir et l’immobilité la plus statique qui soit envers le monde.

1 juin 2013

Nippon

Ici et là on s’étonne que le japonais sache mourir dignement et en silence. Évidemment, les autres font semblant de souffrir à sa place et c’est comme si le japonais n’existait plus.

29 mai 2013

Doutant

« Et si un homme ne pouvait pas se souvenir s'il a toujours eu cinq doigts ou deux mains ? Le Comprendrions-nous ? Pourrions-nous être sûrs de le comprendre ? » (Ludwig Wittgenstein - De la certitude)

23 mai 2013

Végétatif

Rester à l’état végétatif. Mieux, retrouver la belle plasticité impavide d’une méduse balancée au creux de la vague. S’échouer sur une plage, Retrouver le soleil, se laisser traverser par lui. Oublier le monde qui n’est rien, néant, bagatelle.

21 mai 2013

Piétonnier

Ne pas conduire est un plaisir d’esthète. Le piéton est certes contraint par une moindre vitesse de déplacement, mais il est totalement libre de ses mouvements. Il peut se faufiler in his own way, se perdre volontairement, s’arrêter, observer, ressentir, rêver. Vous le lâchez dans une mégalopole où personne ne marche jamais et le voilà encore plus libre, insouciant, rempli de félicité. Il regarde les choses de biais, il est le seul à pouvoir le faire.

19 mai 2013

Niché

Jadis la moralité était l’instinct du troupeau dans l’individu. Aujourd’hui il n’y a plus de troupeaux, mais une multitude d’individus nichés. Allez trouver de l’instinct et de la moralité dans une multitude d’individus nichés !

15 mai 2013

Glissant

La pente est glissante, mais le chemin bucolique.

6 mai 2013

Social démocrate

Le tutoiement est presque obligatoire en Suède. Il a même fait l’objet d’une « réforme » dans les années 60 et depuis cette époque formidablement dépeignée tous les Suédois tutoient leurs plombiers, les policiers dans la rue, leurs patrons, les jolies filles avec des jupes à carreaux qui attendent le bus pour Malmö, et même le premier ministre. Tous les Suédois sont donc égaux et seul le Roi conserve le privilège d’être vouvoyé. Vous conviendrez que tout cela relève de la barbarie pure et simple.

2 mai 2013

Existentiel

Évidemment, je sais que je ne suis rien, mais que ce rien est tout puisque j'existe.

30 avril 2013

Prêcheur

Que Dieu nous préserve des voisins bricoleurs. Que Dieu nous préserve du gel dans les cheveux, des chaussures à bouts carrées et de la vox populi. Que Dieu nous préserve des crétins convaincants. Que Dieu nous préserve des charmeurs de serpents sur la place Jemaa-el-Fna à Marrakech. Que Dieu nous préserve des films de Michael Haneke. Que Dieu nous préserve des païens à flambeaux.

27 avril 2013

Ennuyé

Pour qui veut atteindre les hautes extases, un solide ennui est bien utile.

25 avril 2013

Bricoleur

Le soleil enfin là je me réjouissais déjà devant la perspective de pouvoir lire en position semi-alanguie dans mon semi-jardin au presque grand air. Mal m’en pris puisqu’au bout de trois pages surhumaines du père Nietzsche j’ai dû constater bien malgré moi que mon voisin de gauche, profitant du « beau temps » avait décidé de réparer son toit. Quant à mon voisin de droite (un bourgeois bohème roulant en véhicule 4x4), il avait, lui, décidé de reprendre la construction de sa piscine idéale entreprise il y a pas moins de trois ans. À ma gauche (le toit), j’ai donc dû subir les assauts sonores et répétés d’une scieuse, d’un pistolet à clou et d’autres instruments indéfinissables tandis qu’à ma droite (la future piscine idéale) s’élevaient les vrombissements d’une pelleteuse tout autant dinosauresque qu’enrobée de vapeurs nauséabondes. Vous conviendrez qu’avec tous ces désagréments entremêlés il m’était quasiment impossible de me concentrer sur une lecture qui requiert un minimum de concentration (la lecture de ce bon vieux Nietzsche demande un minimum de concentration). Si l’on ajoute qu’outre le bruit et l’odeur, mon voisin de gauche (le toit) a laissé choir sans vergogne divers objets, copeaux, clous et tuiles, à même mon semi-jardin sans même vérifier s’il était occupé par le moindre quidam (je dois être transparent) il y a de quoi rester dubitatif devant la relative neutralité frontalière de nos voisins « bricoleurs ». Un peu las, un peu triste, resigné, je suis rentré dans mes intérieurs pour poursuivre, à l’abris, une lecture qui méritait d’être poursuivie, mais l’envie n’était plus là et j’ai assez vite oublié mon livre pour me complaire dans une sourde neurasthénie. Il faisait si beau dehors.

22 avril 2013

Masochiste

Notre désir de souffrance est tel que nous nous créons des monstres à combattre.

21 avril 2013

Dominical

« J’ai beaucoup aimé les dimanches. Si, à présent je les aime moins c’est peut-être parce que j’en ai trop vu ou bien que, d’une manière générale, je ne sache plus rien aimer autant qu’auparavant. » (Henri Calet, Poussières de la route)

15 avril 2013

Sibyllin

Celui qui voit la vraie lumière ne tient jamais à lui-même.
 
Ainsi, le chien reste-t-il entre deux daims.

12 avril 2013

Humain

« Pauvre vie. Pauvres vies. Calet ne parla jamais que des humbles, comme Dabit, comme Guilloux, comme Bernanos. Il aura aimé ceux qui passent, et qui vont mourir, et qui le savent, et font semblant de ne pas le savoir, et enfilent des chandails, des culottes, se lavent les dents, chient, vont au boulot, reviennent, baisent, se couchent, par n'importe quel temps, chient, rebaisent, dorment, ne dorment pas, et à la fin se mettent à pleurer silencieusement, car enfin, enfants, ils rêvaient tout de même d'une autre vie, car enfin, oui, cela il faut bien le dire, rêvaient d'une autre vie. Calet l'a dit. Saloperie d'existence. Car ce n'est pas ainsi qu'il aurait fallu vivre. Malgré tout, comme le séjour fut beau. On s'en souvient encore. A Suresnes, nous avions parfois mangé des moules et des frites et bu du vin rosé. En bras de chemise, sous les tonnelles. Comme les années furent belles. Et tous ces corps désespérants de femmes que l'on a serrés contre soi. C'est ma jeunesse et je n'en ai pas d'autre. On a eu que cette pauvre vie là. C'est mieux que rien. Quand on est le fils de Madame Caca, on ne peut pas être très exigeant. (…) Il savait où il allait, oui, Henri Calet. Longtemps communiste, il avait fini par s'habituer à vivre sans espoir. Rien que la mort. » (JP Martinet)

11 avril 2013

Félin

Un tigre lucide et normalement constitué ne s’attaquerait jamais à une bestiole aussi peu intéressante que l’homme. Il y a certes ce tigre du Bengale qui dévora plus de quatre cent personnes, mais il le fit après s’être abimé la mâchoire et les pattes antérieures en tentant d’avaler un porc-épic.

9 avril 2013

Gastronome

Le vautour commence toujours son festin en dévorant l’anus de sa proie, c’est la partie la plus tendre.

27 mars 2013

Pluvieux

« Il y a, pendant la pluie, une certaine obscurité qui allonge tous les objets. Elle cause, d’ailleurs, par la disposition où elle oblige notre corps à se placer, une sorte de recueillement qui rend l’âme plus sensible. Le bruit qu’elle produit, en occupant continuellement l’oreille, éveille l’attention et la tient en haleine. L’espèce de teinte brune qu’elle donne aux murailles, aux arbres, aux rochers, ajoute encore à l’impression causée par ces objets. Enfin, la solitude et le silence qu’elle étale autour du voyageur, en obligeant les animaux et les hommes à se taire et à se tenir à l’abri, achèvent de rendre pour lui les sensations plus distinctes. Enveloppé dans son manteau, la tête recouverte, et cheminant dans des sentiers déserts, il est frappé de tout, et tout est agrandi devant son imagination ou ses yeux. Les ruisseaux sont enflés, les herbes plus épaisses, les minéraux plus apparents ; le ciel est plus près de la terre, et tous les objets, renfermés dans un horizon plus étroit, semblent avoir plus de place et plus d’importance. » (Joseph Joubert, Pensées).

24 mars 2013

Philosophe

La philosophie demande un investissement qui excède de beaucoup la simple raison. On philosophe tout autant avec sa chair, ses os, son corps tout entier qu’avec son intellect. Quant à l’âme, elle joue un rôle que je ne suis pas le seul à voir.

23 mars 2013

Charmant

Les cuisiniers volubiles trouveront beaucoup de distraction à vouloir faire rôtir un singe. Le poil grésille, la peau éclate, les yeux fondent. Tout cela est charmant.

22 mars 2013

Voilé

Tout ce qui brille trop brille d’un éclat glacé alors que le reflet profond, un peu voilé des pierres naturelles enchante l’âme.

18 mars 2013

Libéré

Le Giono tardif est libéré des orages philosophiques qui embrumaient son style. Il ne lance plus de grandes invocations aux arbres, il les regarde simplement pousser au flanc des montagnes. Leurs feuilles reconnaissantes laissent passer pour lui les ombres et le soleil. Le panthéisme rôde.

17 mars 2013

Accidentel

Pour qu'un accident existe, il faut que la substance qui le porte naisse et comme toute substance n'existe que par accident nous voilà bien avancés.

14 mars 2013

Maléfique

Ce n’est pas l’erreur qu’il faut craindre, c’est le mal. Reste à distinguer le mal de l’erreur.

12 mars 2013

Accidenté

Je me suis coupé le majeur droit sur toute la longueur, c’est un problème, car en dehors de mon majeur gauche ce doigt-là est le plus long de mes doigts. Bien à vous.

9 mars 2013

Coréen

Les Nord-Coréens sont formidables ils portent tous des tuniques en vinalon, sont coiffés à l’identique et dénoncent leurs voisins comme s’ils se dénonçaient eux-mêmes.

8 mars 2013

Crétin

Il n’y a pas pire que les crétins convaincants. Ils osent tout et nous les admirons subjugués avec la paume de la main sous le menton.

4 mars 2013

Vide

Pour Aristote il n’y a pas de vide, le monde est un espace clos et puis c’est tout. Pour Descartes il n’y pas de vide non plus, l’espace n’est qu’une étendue et puis de toutes les façons il n'est pas possible que le rien ait la moindre velléité d’extension. Pour les taoïstes le vide est essentiel, sans lui il n’y a pas d’esprit, pas d’intelligence ; sans vide il n’y a pas de plein ! Bon les taoïstes ne sont pas les derniers à vouloir sautiller autour des paradoxes, mais sur ce coup-là il est bien possible qu’ils aient raison.

3 mars 2013

Pessimiste

C’est le pessimiste qui fait avancer le monde. Il a beau afficher en permanence un petit air renfrogné, c’est lui qui reste le plus inventif à rendre la vie belle et profonde, car il entretient « la continuité des détresses véritables ».

1 mars 2013

Renonçant

Celui qui renonce sacrifie tout à son désir de hauteur. Il jette les choses qui alourdissent son vol et le voilà bientôt dans une radieuse exosphère, dans un monde supérieur et comme libéré de toute pesanteur.

25 février 2013

Malade

« Et peut-être la maladie elle-même est la condition essentielle de ce que nous appelons le progrès, peut-être le progrès lui-même est-il une maladie. » (Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie).

22 février 2013

Nonchalant

La vie ? Une éternelle succession de buts à atteindre. Heureux les esprits lymphatiques qui se contentent des plus infimes.

21 février 2013

Bouclé

Ce ne sont pas nos pensées qui nous rendent pessimistes ou optimistes. C’est par contre notre pessimisme ou notre optimisme qui nous permet de penser. Drôle de boucle.

20 février 2013

Tempéré

Joyce était parfois sobre. Il repoussait alors les carafes de vin que l’on voulait bien lui proposer puis il retournait son verre sur la table tout en prenant des airs offusqués. Oh ! il n’y avait pas grand monde pour être convaincu par la tempérance passagère du très grand écrivain, mais on faisait comme si en détournant la tête.

19 février 2013

Papophile

Le Vatican est supérieur à tout autre monarchie. Il n’est jamais encombré par la « chaine de la chair de la reproduction ». Il y a cette petite fumée et puis c’est tout.

18 février 2013

Intelligent

Celui qui comprend tout ne rit jamais vraiment et c’est pourquoi il parait si sinistre aux yeux d’un monde qui voudrait le voir plus jovial. Il faut donc se garder d’être trop intelligent.

16 février 2013

Humain

Il y a cette photo où Emile Zola est allongé sur l’herbe tout en tenant son chien Pinpin contre son cœur. C’est un autoportrait plein de bonté. Les hommes ne sont jamais autant humains que lorsqu’ils aiment les bêtes.

12 février 2013

Vorace

Outre sa presque cécité, il faut savoir que la taupe est un animal tout autant féroce que vorace. Il suffit de l’enfermer dans un grand bocal avec un crapaud et une vipère pour s’en convaincre. Généralement la plus avenante (la taupe est avenante) des trois colocataires tue les deux autres, puis elles les dévore entièrement. Il faut donc en déduire que derrière le petit talpidé amblyope se cache un modique tigre du Bengale, cruel et sans pitié.

11 février 2013

Hermaphrodite

Pour Plutarque, Philostrate et quelques rabbins très anciens, le lièvre était mâle et femelle à la fois. Que voulez-vous, cette façon de sautiller les oreilles au vent, cette lubricité amorale, cette « effémination » dégénérée, avait tout pour rendre cette bestiole suspecte des pires inversions qui soient ! Pline, qui était très informé, voyait lui aussi de dangereux léporidés bisexués sautiller un peu partout. Il voyait aussi des équidés trottiner d’une façon un peu trop chaloupée. Tenez même le char de Néron était tiré par quatre grandes juments hermaphrodites, c’est vous dire ! Pour Platon le premier homme lui-même était autogame, une petite cohorte d’érudits soutiendra cette intuition en affirmant qu’Adam offrait toutes les caractéristiques d'un suppositum indivis contenant à la fois le masculin et le féminin. Évidemment, tout cela était un peu inexact. Il faut parfois savoir se méfier des « anciens ».
 
P.-S. Le lièvre n’est pas plus hermaphrodite que le perroquet il est seulement doté d’une cavité périnéale bien située (le poisson-perroquet est par contre réellement hermaphrodite… et très coloré).

10 février 2013

Orchestral

J’ai la très désagréable impression que l’un de mes indéfinis voisins vient de monter un orchestre. En effet depuis bientôt une semaine mes murs laissent assez fréquemment passer les roulements d’une batterie hasardeuse et les vrombissements d’une guitare basse tâtonnante. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si les aubades produites par ledit orchestre ne taquinaient pas une bien incertaine contrée musicale située entre la sororité discordante des sœurs Shaggs et une sorte de Krautrock hagard et lancinant. Imaginez l’inconfort de ma situation, imaginez ma grande peine ! En représailles, je pense que je vais « écouter » Metal Music Machine très fort tout en ouvrant mes fenêtres.

9 février 2013

Éthylique

Malgré les incessantes admonestations hygiénistes qui le titillent de toute part l’ivrogne est le seul être vraiment libre en ce bas monde.

4 février 2013

Déçu

L’avantage de préférer les morts aux vivants c’est que nous sommes rarement déçus par les morts que nous aimons.

3 février 2013

Naturaliste

Le crapaud pisse et bave son venin. La grenouille survit même lorsque l’on prend l’idée de lui ôter cœur et poumons. Concernant ces deux autres bestioles un peu démodées que sont la salamandre et l’amphisbène il ne faut pas trop croire les anciens, la première n’est pas plus ignifugée que ça et la seconde n’a pas plus de têtes que vous où moi. (J’ose espérer que vous n’avez qu’une tête.)

26 janvier 2013

Vide

La vacuité à se sentir vivre atteint l’épaisseur de quelque chose de positif ; cette certitude que la vie, qui n’est rien, conduit paradoxalement vers le tout de l’infini.

19 janvier 2013

Ombrageux

L’ombre est préférable à la lumière ; l’ombre invente, la lumière n’invente rien.

Oui certainement, mais sans lumière y aurait-il de l'ombre ? La lumière n'« invente » telle pas l'ombre ? Tout est compliqué.

18 janvier 2013

Cucurbitant

« De M. Degas. Des femmes emplissent de leur accroupissement cucurbitant la coque des tubs : l’une, le menton à la poitrine, se râpe la nuque ; l’autre en une torsion qui la fait virante, le bras collé au dos, d’une éponge qui mousse se travaille les régions coccygiennes. Une anguleuse échine se tend ; des avant-bras, dégageant des seins en virgouleuses, plongent verticalement entre des jambes pour mouiller une débarbouilloire dans l’eau d’un tub où des pieds trempent. S’abattent une chevelure sur des épaules, un buste sur des hanches, un ventre sur des cuisses, des membres sur leurs jointures, et cette maritorne, vue du plafond, debout sur son lit, mains plaquées aux fesses, semble une série de cylindres, renflés un peu, qui s’emboîtent. De front, agenouillée, les cuisses disjointes, la tête inclinée sur la flaccidité du torse, une fille s’essuie. Et c’est dans d’obscures chambres d’hôtel meublé, dans d’étroits réduits que ces corps aux riches patines, ces corps talés par les noces, les couches ou les maladies se décortiquent ou s’étirent » (Félix Fénéon, Les Impressionnistes en 1886).

13 janvier 2013

Mortel

« La mort ? Une sorte d’obscurité soyeuse et fraiche. Bien sûr, j’admets que je pourrais me tromper. Peut-être que je renaitrai en coolie chinois. Dans ce cas, je protesterai. » (Winston Churchill, Le monde selon Churchill)

12 janvier 2013

Schizophrène

Écoutant Gould interpréter Haydn j’entends aussi des voix. Je dois être un peu schizophrène.

5 janvier 2013

Chamanique

Saviez-vous que Churchill avait tout prévu ? La Première Guerre mondiale avec ses « merveilles » technologiques ! La montée d’Hitler et la pusillanimité couarde des munichois en goguette ! La Seconde Guerre mondiale et son issue fatale pour de bien mornes païens à flambeaux ! La guerre froide et la dissuasion nucléaire ! La réinvention de l’« Europe » et la chute du communisme ! Churchill avait tellement raison avant l’heure légale que devant toutes ses prédictions confirmées, on se prend à le regarder rétrospectivement de biais en se demandant si sous le replet insulaire il n’y avait pas un mince chaman holistique qui sommeillait.

3 janvier 2013

Anticonformiste

L’anticonformiste plante souvent le même clou tout en sifflotant la même rengaine. Par habitude il en fait tomber son anti, par aveuglement il ne s’en rend même pas compte ; c’est un problème.

2 janvier 2013

Festif

« C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. » (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris)

29 décembre 2012

Stendhalien

Le Sartre posé sur son tonneau et haranguant l’ouvrier de Billancourt était un brin fatiguant. Le Sartre des Mots l’était moins. Le Sartre vaguement stendhalien ne l’était pas du tout : « Un homme heureux est aujourd’hui si solitaire qu’il faut bien expliquer son sentiment : il parle de couleurs aux aveugles ».

21 décembre 2012

Apocalyptique

Finalement ce monde d’abusion* est toujours là. On le trouvera durable comme une replète masse nonsensique persistante. On aura bien raison de le trouver ainsi. On s’ennuiera aussi.

 * « Ce monde n'est qu'abusion » (Villon).

15 décembre 2012

Gouteux

Pour Warhol le mauvais goût fait passer le temps plus vite. Pour Stendhal il conduit au crime. Wilde, qui lui est bien plus malin, se contente d’avoir bon goût.

14 décembre 2012

Jésuite

Baltasar Gracián qui n’était pas le dernier des jésuites venu pensait qu’il fallait « jouir lentement et agir vite ». Cependant, le quidam ordinaire du XXIe siècle, ce quidam qui n’est rien du tout et qui est encore moins jésuite, pourrait lui rétorquer qu’une belle et lourde lenteur n’a jamais empêché une belle et lourde jouissance.
 Il y a certainement une pléiade d’écrivains qui font avec la célérité, la concision  ; des écrivains qui jouissent longtemps et qui agissent vite (Saint-Simon, Vivant Denon…) Il y en d’autres qui font avec la durée, l’atermoiement, une authentique lourdeur, leur jouissance n’en garde pas moins la capacité d’être aussi longue que leurs phrases (John Cowper Powys, Paul Claudel…)

7 décembre 2012

Nocturne

Nous voici verticaux sous l'étoile

Craignez de réveiller la furtive endormie.

« A peine entrons-nous dans le sommeil que l'espace s'amortit et s'endort — s'endort un peu en avance sur nous-mêmes, perdant ses fibres et ses liens, perdant ses forces de structure, ses cohérences géométriques. L'espace où nous allons vivre nos heures nocturnes n'a plus de lointain. Il est la toute proche synthèse des choses et de nous-mêmes. Rêvons-nous d'un objet, nous entrons dans cet objet comme en une coquille. Notre espace onirique a toujours un coefficient central. Parfois, dans nos rêves de vol, nous croyons aller bien haut, mais nous ne sommes alors qu'un peu de madère volante. Et les cieux que nous escaladons sont des deux tout intimes — des désirs, des espoirs, des orgueils. Nous sommes trop étonnés de l'extraordinaire voyage pour en faire une occasion de spectacle. Nous restons le centre même de notre expérience onirique. Si un astre brille, c'est le dormeur qui s'étoile : un petit éclat sur la rétine endormie dessine une constellation éphémère, évoque le souvenir confus d'une nuit étoilée. » (Gaston Bachelard, L'espace onirique)

« Et le cours des astres, entre minuit et l'aube, ne me semble plus charrier que des cris éphémères et fragiles ; et quand ces cris parviennent à leur point le plus frêle, alors sur la pointe la plus tremblante du monde d'à présent, je dors un instant ; je prends pour oreiller ce qu'il y a de plus flottant au monde et ma vie, avant que viennent les rêves, tangue de songes. » (Armand Robin, Fragments)

1 décembre 2012

Hivernal

« L’homme, en décembre, saute sur place et se frappe les mains avec violence : c’est pour mieux faire circuler le sang. La cigogne reste en Égypte. L’escargot se bouche. La vipère, ankylosée par le froid, ne mord plus, mais le tigre reste dangereux. On le piègera dans la jungle en ayant soin de faire le moins de bruit possible pour ne pas l’effrayer trop tôt. » (Alexandre Vialatte, L’almanach des quatre saisons).

30 novembre 2012

Lumineux

Celan au bord du silence, vaincu, renonçant, s’effaçant dans les eaux de la Seine où il trouve une mort qu’il avait cherché : « Je fais de la lumière derrière moi ».

23 novembre 2012

Mallarméen

Chez Mallarmé la syntaxe est une structure spirituelle où les mots tombent naturellement les uns sur les autres. Le lecteur est dubitatif ; il trouve tout cela bien mystérieux ; c’est pourtant si simple :

« Attribuons à des songes, avant la lecture, dans un parterre, l’attention que sollicite quelque papillon blanc, celui-ci à la fois partout, nulle part, il s’évanouit ; pas sans qu’un rien d’aigu et d’ingénu, où je réduisis le sujet, tout à l’heure ait passé et repassé, avec insistance, devant l’étonnement. »

16 novembre 2012

Balnéaire

Les Grecs se baignaient, les Romains se baignaient aussi. Ils nageaient des îles Lipari à Syracuse, se trempaient à Ostie, dans le Golfe de Naples avec Capri dans le fond. Après l’antiquité — il y a beaucoup de choses après l’antiquité —, il faudra attendre un certain temps avant que la baignade revienne au goût du jour. La toute fin du XVIIIe siècle verra, outre quelques têtes malencontreusement coupées, une mince cohorte se risquer à remettre un orteil dans l’eau. La trempette « renaîtra » petit à petit et presque insidieusement tout au long du XIXe siècle. On barbotera, mais toujours en habits et à l’abri des regards. Les bains de mer de l’impératrice Eugénie se faisaient, par exemple, dans des baignoires que l’on avait au préalable remplies d’une eau forcement tiède. Il faudra attendre 1900 pour voir le baigneur déshabillé, en vêtements de dessous, et 1925 pour voir la première nageuse nue, une « nudité intrépide ».