26 janvier 2013

Vide

La vacuité à se sentir vivre atteint l’épaisseur de quelque chose de positif ; cette certitude que la vie, qui n’est rien, conduit paradoxalement vers le tout de l’infini.

19 janvier 2013

Ombrageux

L’ombre est préférable à la lumière ; l’ombre invente, la lumière n’invente rien.

Oui certainement, mais sans lumière y aurait-il de l'ombre ? La lumière n'« invente » telle pas l'ombre ? Tout est compliqué.

18 janvier 2013

Cucurbitant

« De M. Degas. Des femmes emplissent de leur accroupissement cucurbitant la coque des tubs : l’une, le menton à la poitrine, se râpe la nuque ; l’autre en une torsion qui la fait virante, le bras collé au dos, d’une éponge qui mousse se travaille les régions coccygiennes. Une anguleuse échine se tend ; des avant-bras, dégageant des seins en virgouleuses, plongent verticalement entre des jambes pour mouiller une débarbouilloire dans l’eau d’un tub où des pieds trempent. S’abattent une chevelure sur des épaules, un buste sur des hanches, un ventre sur des cuisses, des membres sur leurs jointures, et cette maritorne, vue du plafond, debout sur son lit, mains plaquées aux fesses, semble une série de cylindres, renflés un peu, qui s’emboîtent. De front, agenouillée, les cuisses disjointes, la tête inclinée sur la flaccidité du torse, une fille s’essuie. Et c’est dans d’obscures chambres d’hôtel meublé, dans d’étroits réduits que ces corps aux riches patines, ces corps talés par les noces, les couches ou les maladies se décortiquent ou s’étirent » (Félix Fénéon, Les Impressionnistes en 1886).

13 janvier 2013

Mortel

« La mort ? Une sorte d’obscurité soyeuse et fraiche. Bien sûr, j’admets que je pourrais me tromper. Peut-être que je renaitrai en coolie chinois. Dans ce cas, je protesterai. » (Winston Churchill, Le monde selon Churchill)

12 janvier 2013

Schizophrène

Écoutant Gould interpréter Haydn j’entends aussi des voix. Je dois être un peu schizophrène.

5 janvier 2013

Chamanique

Saviez-vous que Churchill avait tout prévu ? La Première Guerre mondiale avec ses « merveilles » technologiques ! La montée d’Hitler et la pusillanimité couarde des munichois en goguette ! La Seconde Guerre mondiale et son issue fatale pour de bien mornes païens à flambeaux ! La guerre froide et la dissuasion nucléaire ! La réinvention de l’« Europe » et la chute du communisme ! Churchill avait tellement raison avant l’heure légale que devant toutes ses prédictions confirmées, on se prend à le regarder rétrospectivement de biais en se demandant si sous le replet insulaire il n’y avait pas un mince chaman holistique qui sommeillait.

3 janvier 2013

Anticonformiste

L’anticonformiste plante souvent le même clou tout en sifflotant la même rengaine. Par habitude il en fait tomber son anti, par aveuglement il ne s’en rend même pas compte ; c’est un problème.

2 janvier 2013

Festif

« C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. » (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris)

29 décembre 2012

Stendhalien

Le Sartre posé sur son tonneau et haranguant l’ouvrier de Billancourt était un brin fatiguant. Le Sartre des Mots l’était moins. Le Sartre vaguement stendhalien ne l’était pas du tout : « Un homme heureux est aujourd’hui si solitaire qu’il faut bien expliquer son sentiment : il parle de couleurs aux aveugles ».

21 décembre 2012

Apocalyptique

Finalement ce monde d’abusion* est toujours là. On le trouvera durable comme une replète masse nonsensique persistante. On aura bien raison de le trouver ainsi. On s’ennuiera aussi.

 * « Ce monde n'est qu'abusion » (Villon).

15 décembre 2012

Gouteux

Pour Warhol le mauvais goût fait passer le temps plus vite. Pour Stendhal il conduit au crime. Wilde, qui lui est bien plus malin, se contente d’avoir bon goût.

14 décembre 2012

Jésuite

Baltasar Gracián qui n’était pas le dernier des jésuites venu pensait qu’il fallait « jouir lentement et agir vite ». Cependant, le quidam ordinaire du XXIe siècle, ce quidam qui n’est rien du tout et qui est encore moins jésuite, pourrait lui rétorquer qu’une belle et lourde lenteur n’a jamais empêché une belle et lourde jouissance.
 Il y a certainement une pléiade d’écrivains qui font avec la célérité, la concision  ; des écrivains qui jouissent longtemps et qui agissent vite (Saint-Simon, Vivant Denon…) Il y en d’autres qui font avec la durée, l’atermoiement, une authentique lourdeur, leur jouissance n’en garde pas moins la capacité d’être aussi longue que leurs phrases (John Cowper Powys, Paul Claudel…)

7 décembre 2012

Nocturne

Nous voici verticaux sous l'étoile

Craignez de réveiller la furtive endormie.

« A peine entrons-nous dans le sommeil que l'espace s'amortit et s'endort — s'endort un peu en avance sur nous-mêmes, perdant ses fibres et ses liens, perdant ses forces de structure, ses cohérences géométriques. L'espace où nous allons vivre nos heures nocturnes n'a plus de lointain. Il est la toute proche synthèse des choses et de nous-mêmes. Rêvons-nous d'un objet, nous entrons dans cet objet comme en une coquille. Notre espace onirique a toujours un coefficient central. Parfois, dans nos rêves de vol, nous croyons aller bien haut, mais nous ne sommes alors qu'un peu de madère volante. Et les cieux que nous escaladons sont des deux tout intimes — des désirs, des espoirs, des orgueils. Nous sommes trop étonnés de l'extraordinaire voyage pour en faire une occasion de spectacle. Nous restons le centre même de notre expérience onirique. Si un astre brille, c'est le dormeur qui s'étoile : un petit éclat sur la rétine endormie dessine une constellation éphémère, évoque le souvenir confus d'une nuit étoilée. » (Gaston Bachelard, L'espace onirique)

« Et le cours des astres, entre minuit et l'aube, ne me semble plus charrier que des cris éphémères et fragiles ; et quand ces cris parviennent à leur point le plus frêle, alors sur la pointe la plus tremblante du monde d'à présent, je dors un instant ; je prends pour oreiller ce qu'il y a de plus flottant au monde et ma vie, avant que viennent les rêves, tangue de songes. » (Armand Robin, Fragments)

1 décembre 2012

Hivernal

« L’homme, en décembre, saute sur place et se frappe les mains avec violence : c’est pour mieux faire circuler le sang. La cigogne reste en Égypte. L’escargot se bouche. La vipère, ankylosée par le froid, ne mord plus, mais le tigre reste dangereux. On le piègera dans la jungle en ayant soin de faire le moins de bruit possible pour ne pas l’effrayer trop tôt. » (Alexandre Vialatte, L’almanach des quatre saisons).

30 novembre 2012

Lumineux

Celan au bord du silence, vaincu, renonçant, s’effaçant dans les eaux de la Seine où il trouve une mort qu’il avait cherché : « Je fais de la lumière derrière moi ».

23 novembre 2012

Mallarméen

Chez Mallarmé la syntaxe est une structure spirituelle où les mots tombent naturellement les uns sur les autres. Le lecteur est dubitatif ; il trouve tout cela bien mystérieux ; c’est pourtant si simple :

« Attribuons à des songes, avant la lecture, dans un parterre, l’attention que sollicite quelque papillon blanc, celui-ci à la fois partout, nulle part, il s’évanouit ; pas sans qu’un rien d’aigu et d’ingénu, où je réduisis le sujet, tout à l’heure ait passé et repassé, avec insistance, devant l’étonnement. »

16 novembre 2012

Balnéaire

Les Grecs se baignaient, les Romains se baignaient aussi. Ils nageaient des îles Lipari à Syracuse, se trempaient à Ostie, dans le Golfe de Naples avec Capri dans le fond. Après l’antiquité — il y a beaucoup de choses après l’antiquité —, il faudra attendre un certain temps avant que la baignade revienne au goût du jour. La toute fin du XVIIIe siècle verra, outre quelques têtes malencontreusement coupées, une mince cohorte se risquer à remettre un orteil dans l’eau. La trempette « renaîtra » petit à petit et presque insidieusement tout au long du XIXe siècle. On barbotera, mais toujours en habits et à l’abri des regards. Les bains de mer de l’impératrice Eugénie se faisaient, par exemple, dans des baignoires que l’on avait au préalable remplies d’une eau forcement tiède. Il faudra attendre 1900 pour voir le baigneur déshabillé, en vêtements de dessous, et 1925 pour voir la première nageuse nue, une « nudité intrépide ».

13 novembre 2012

Marsupial

« Comme le cosmos est petit (une poche de kangourou le contiendrait), comme il est dérisoire et piteux comparé à la conscience humaine, à un seul souvenir d'un individu et à son expression par des mots ! » (Vladimir Nabokov, Autres Rivages).

11 novembre 2012

Reptilien

Les gestes belliqueux formés par la partie reptilienne de notre cerveau sont aussi des gestes artistiques ; des gestes artistiques terribles, mais des gestes artistiques tout de même.

9 novembre 2012

Shakespearien

How goes the world ? It wears, sir, how it grows.