8 décembre 2025

De l'anatomie

On peut faire la sociologie du sein, sa philosophie et sa poétique, on peut aussi faire son économie, mais il y a là une certaine perte de sens.

6 décembre 2025

De la sociologie

Le danger de la sociologie c'est quelle construit ses hypothèses comme des vérités absolues, qu'elle agite les petits drapeaux du « c'est prouvé » pour clore tout débat. Le dogmatique remplace la perception climatique du monde, l'autorité des « savoirs » étouffe la critique avec la sournoise habilité d'un boa constrictor. Et nous voilà rendus à ce que la sociologie elle-même pensais combattre : une nouvelle forme de tyrannie cachée sous les oripeaux des courbes graphiques et des concepts.

5 décembre 2025

De l’auto-ironie

Tant qu'à se gausser du monde, autant commencer par soi-même.

Il faut prendre les Essais de Montaigne dans leur sens premier, c'est-à-dire qu'il n'y est question que de « modestes » tentatives. Montaigne s'essaie lui-même, ne conclut rien. Fait acte d'auto-ironie en permanence.  

L'auto-ironie de Baudelaire est tragique, pleine d' « ailes de géant » qui l’ empêche de marcher.

L'auto-ironie de Kafka, c'est le sourire noir de celui qui tente de comprendre les règles de sa propre exécution. 

L'auto-ironie de  Walser est une stratégie de survie par légèreté assumée.

L'auto-ironie de Schulz n'est pas un ricanement sur lui-même, c'est le sourire étouffé d'un « fœtus attardé » qui voyait sa propre décrépitude, sa future décomposition comme une épopée. 

L’auto-ironie de Proust est dans la longueur de ses phrases d’asthmatique. 

L'auto-ironie de Cioran est le privilège de son âme blessée, le témoignage d’une brisure secrète, un aveu, ou le masque qu’emprunte la pitié qu'il peut éprouver pour lui-même.

Il n'y a pas d'auto-ironie chez Heidegger. 

L'auto-ironique est un sceptique qui rentre chez lui.

26 novembre 2025

Du snobisme

 — Le bovarysme est-il une forme de snobisme, ou est-ce l’inverse ?

— Il ne faut pas les opposer, c’est une question d’échelle. Le bovarysme est plus vaste que le snobisme ; on pourrait même dire qu’il l’englobe, comme il englobe toutes les formes d’illusions sur soi-même.

— Le snobisme est donc une sous-catégorie du bovarysme ?

— Disons que c’est plutôt un symptôme du bovarysme. Emma Bovary pense que si elle accède à la haute société – le bal de la Vaubyessard –, elle guérira de son ennui. C’est une erreur de diagnostic. Le vrai snob, ce que n’est pas Emma, fleurit sur une sorte de bovarysme ; mais il ne fait pas d’erreur de diagnostic, il est toujours en pleine conscience de la facilité et des difficultés de ses buts à atteindre.

— Oui, il se contente d’épater la galerie, alors que le bovaryste est un rêveur tragique qui finit par croire à son propre mensonge, jusqu’à en mourir. Bref, il n’y a pas de snobs tragiques.

— Tu as raison. Le snob est un bovaryste triomphant qui a réussi à s’objectiver. Il ne souffre pas de l’écart avec le réel, il le comble par l’artifice. Le bovaryste est, lui, un illusionné qui se heurte à un réel qui ne plie pas.

— Le snob est donc un « cas particulier ».

— Oui, un « cas particulier » et un symptôme.

— Ou une version sociale du bovarysme.

— C’est là où les choses se compliquent encore plus. Le bovarysme s’applique à tout, tandis que le snobisme semble se réduire à l’unique champ social. Ce n’est pas entièrement vrai, et ça nous embarque dans des questions qui pourraient durer des heures. Le snobisme est aussi une posture, dans le sens de pose, existentielle, et une maladie du désir.


(Plus tard)


— Pour en revenir à la discussion que nous avons eue tout à l’heure, un autodidacte ne risque-t-il pas de tomber dans le snobisme plus facilement ?

— Pas nécessairement, le risque principal de l’autodidacte, c’est de faire de la surcompensation, d’étaler son savoir ou d’utiliser des références obscures pour mieux bluffer l’assistance. Il s’agit davantage d’un syndrome, celui de l’imposteur, que de snobisme pur et simple.

— Oui, c’est vrai. D’autre part, l’autodidacte est un solitaire qui n’a pas de caste à défendre, et par conséquent pas de codes d’exclusion à respecter. De surcroît, un autodidacte atteint de snobisme est très aisément repérable. On le perçoit immédiatement prétentieux ou arrogant.

— En fait, le plus grand risque de l’autodidacte, c’est surtout l’isolement intellectuel.

— Ça et une sorte de repli un peu dandy qui me semble l’exact opposé du snobisme.

— Tu as raison. Le snob veut entrer dans le monde, le dandy veut en sortir. Le problème, c’est qu’à force de fuir la « bêtise mondaine », il finit par cultiver ses propres erreurs en serre chaude. Le drame de l'autodidacte qui se coupe du monde, c'est qu'il devient le seul juge de sa propre intelligence. Il n'a plus de contradicteurs, seulement ses propres échos. Et avoir raison tout seul, c'est souvent la première étape vers la folie douce. Voilà pourquoi l’autodidacte ne doit pas confondre l'autonomie avec l'autarcie. Pour que sa pensée vive, il faut qu'elle risque d'être contredite, voire ridiculisée. S'il s'enferme dans sa tour d'ivoire par peur d'être snob, il ne produira rien d'autre que du silence.

— Ton tableau est un peu noir.

— Un peu. L'autodidacte transformé en dandy se sauvera en étant une œuvre d’art vivante.

— Et le snobisme comme vertu, ça peut être pas mal. Je ressens le repli comme un snobisme ultime ?

— Oui, car le snob ultime est forcé de s’inventer un monde intérieur d’une telle richesse qu'il en devient, de facto, une œuvre d’art. Non, parce que c'est aussi une prison de verre.

— Si l’exercice de la vertu doit se faire sans contrepartie, elle va y perdre toute substance.

— Il y a certainement des snobs aux actes vertueux, mais le snobisme est par nature incompatible avec la pureté et la vertu. Le snob vertueux instrumentalise la vertu comme un signe de distinction sociale, ce qui en corrompt la nature même. Ou alors ton snob ultime n'est pas un snob mais un dandy ultime, un isolé. Bref, Robert de Montesquiou n'était pas Jacques d'Adelswärd-Fersen.

— Tout cela me dépasse, je voulais juste exprimer l’idée que le snobisme n’est pas forcément synonyme de crétinerie. Et puis cela me fait penser qu’on est sûrement snob malgré soi, alors qu’on choisit forcément d’être dandy.

— Le snobisme comme vertu n'existe que par une autonomie si radicale qu'elle cesse de chercher la validation de la société et ce n'est plus du snobisme, c'est autre chose. Bon, il est vrai que tout cela manque cruellement de sautillement. Changeons de sujet. Tiens, abordons la question du kitsch. En changeant de camp, le kitsch est-il devenu Camp ?

23 novembre 2025

Du kitsch

 Nous sommes passés du kitsch au Camp, puis à la version subventionnée du Camp, c'est-à-dire l'art post-moderne, puis à sa marchandisation capitaliste. En somme, un drôle de chemin menant de la naïveté au cynisme en passant par la case ironie. Comme le disait l'ami Baudrillard : «L'art est devenu la conspiration de l'art.» Le crime est parfait.


21 novembre 2025

Infernal

Pour Cioran, seul l'enfer rend le christianisme respectable. Pour Nietzsche, le même enfer n'est que le ressentiment de très anciens chrétiens projeté dans l'au-delà ; pour Pascal, c'est l'enfer qui permet à l'homme d'être lucide, car chacun sait que la lucidité commence par la terreur.

19 novembre 2025

Drôle d'écho (2)

 « Nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir. » (Pascal)

« Ce matin (10 juin) un instant avant de me réveiller, au point d’expiration d’un cauchemar, j’ai rêvé que je me trouvais au bord du précipice originel, en pleine élaboration du chaos. » (Cioran)

Bref, Pascal tombe dans le précipice que Cioran a rêvé. Nous voilà bien.

17 novembre 2025

Muet

 La conversation offre parfois un duel un peu fin où l'on soustrait sa pensée pour sauver son intégrité, car le langage n'est pas le don, mais la parade du secret.

Bref, parler, c'est taire avec art.

Fixé

Le but n'est pas de fixer l'Idée, mais de laisser sa trace s'évanouir comme un étonnement.

16 novembre 2025

Drôle d'écho

 « Je pense les choses telles qu'elles sont, et elles se trouvent conformes à ma pensée, car elles sont comme je les pense. » (Bossuet)

« En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois. Mais cela me fait souvenir de ma faiblesse que j'oublie à toute heure, ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tiens qu'à connaître mon néant. » (Pascal)

Bref, Bossuet est dans la certitude, Pascal dans le doute. C'est certainement la différence entre un orateur et un penseur.

15 novembre 2025

Cardiovasculaire

 La systole est le nœud de l'idée ; la diastole, l'ombre du Verbe, le rythme est le cœur oscillant de la phrase.

3 novembre 2025

Borné

 (L'heure du chiasme)

Borné, misérable,
incapable d’imaginer,
selon ma portée réduite,
marqué par l’inconstance, l’inquiétude,
je suis ce que je suis,
sans répit hors de l’ennui,
incapable de me suffire,
misérable et borné.

2 novembre 2025

Chatouilleux

 Le prurit est le vestige du lien social perdu, un rappel que se gratter à deux valait mieux que se gratter seul.

Amoureux

 « Toi aussi tu visais haut, mais l'amour nous courbe
Tous de force, nous plie tous la douleur plus forte,
Et pourtant notre arc ne revient pas
À son point de départ en vain. » (Hölderlin)

« Car comme un clou par l'autre est repoussé, L'amour par l'autre est soudain effacé. » (Ronsard)

Pour Hölderlin l'amour est plié, pour Ronsard il est chassé. Faut-il en déduire que les histoires de cœur quelles soient la matière première de la transformation de l'âme ou un effet collatéral de sa nature volatile, sont ontologiquement douloureuses ?

26 octobre 2025

Glorieux

« S’il y a de la gloire, elle est infuse en moi superficiellement par la trahison de ma complexion, et n’a point de corps qui comparaisse à la vue de mon jugement. J’en suis arrosé, mais non pas teint. » (Montaigne)   

« La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime. » (Pascal)  

« Paris : des insectes comprimés dans une botte. Être un insecte célèbre. Toute gloire est risible ; celui qui y aspire doit vraiment avoir le goût de la déchéance. » (Cioran)  

Montaigne effleure la gloire et s'en défait par tempérament, Pascal la ressent et la craint, Cioran la pulvérise par lucidité.

25 octobre 2025

Coléreux

 « On ne peut faire le moindre pas vers la "perfection" tant qu’on demeure prisonnier de la colère. Or, quoi que je fasse, j’y suis sujet. Je sais bien qu’il est dégradant de s’y livrer, je n’y puis rien. Si ; – j’arrive à ne pas passer à l’acte, à ne pas tirer les conclusions auxquelles mes "accès" devraient inévitablement me conduire. L’obsession de l’inanité universelle, c’est à elle que je dois de n’avoir pas commis quelque acte irréparable. Car je n’ai triomphé de la colère et surtout de ses suites que par le recours bienfaisant à l’à quoi bon ? (Cioran)

« Quand je me courrouce, c’est le plus vivement, mais aussi le plus brièvement et secrètement que je puis : je me perds bien en vitesse et en violence, mais non pas en trouble, si que j'aille jetant à l’abandon et sans choix toute sorte de paroles injurieuses, et que je ne regarde d’asseoir pertinemment mes pointes où j’estime qu’elles blessent le plus : car je n’y emploie communément que la langue. » (Montaigne)

Soit deux manières de ne pas laisser la fureur gouverner : la laisser s'éteindre toute seule par les mots et par simple épuisement physiologique chez Montaigne ; l’annuler par la philosophie, l'à quoi bon comme antidote, une sorte de sagesse négative chez Cioran.