19 février 2008

L’autre renonce à être moi

Mon cœur se contracte, mes nerfs frissonnent. J’ai de la foudre dans la gorge. Je marche vers la porte, les coudes écartés. Il est là. Il n’est pas là. Je suis là. Monsieur Hermès n’est plus là. Il ne vient plus. Il me guette dans l’ombre. Il faut que je me démêle. Pas de nostalgie. Le soleil en faisceaux, de l’or sur les dalles, du plâtre. Je me dissimule. La tête, le buste. Je monte dans les étages. Je souffle à chaque palier. Cinq étages. La main sur la rampe. La désolation, en bas, la cour, vitres cassées, une ombre qui tapisse les murs. Monsieur Hermès, une trace dans la poussière de plâtre. Monsieur hermès, un petit carnet dans son veston, sa poche, le carnet. Le carnet tombe dans le stuc dégradé. Le soleil, Monsieur Hermès n’est plus là. En haut je suis là, moi. Le sang me traverse. Le sang me pénètre. Je gonfle comme une bosse chaude. Mon œil disparaît dans l’ombre des tuiles. Voilà je suis en bas. Dans le stuc, le carnet, un crachat en pleine face, le carnet de Monsieur Hermès, la dernière page :

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Je n’irai plus voir l’autre puisqu’il faut que l’autre renonce à être moi. Je ne veux, et ne peux plus, en aucun cas, être son reflet dans un miroir fortuit. L’autre a beau inventer des mots, son esprit n’est plus que cendres retombées en corolles insalubres. Tout cela pourrait être un drame, un malheur pour le commun des mortels, jamais pour moi et encore moins pour lui, mon triste ami. D’ailleurs cet ami-là, si sombre soit-il, n’éprouve rien, il ne fait que subir le passage du temps et il n’a pas plus d’existence tangible que l’agrégat de poussière amassé sous le canapé topaze posé au centre de sa tanière claquemurée.
L’autre affirmait il y a peu et dans un éclair de fausse lucidité, je cite de mémoire : « ressentir plus que subir les choses. » La poussière ressent-elle les choses ? N’est-elle pas plutôt faite de l’imperceptible et continuelle désagrégation de ces fameuses choses, ne ressent-elle pas le souvenir, l’absence des choses ? Je pense que l’autre se trompe, je pense qu’il est obscurci par un esprit dévié et malade, Lui imperturbable, pense l’inverse. Un chargement bizarre, il me croit lui, il se croit moi et il me croit souffrant ; alors que je ne suis incontestablement, non souffrant, et formellement encore moins lui.
Je n’ai rien de la poussière et tout du concret aggloméré, je serai poussière plus tard… le plus tard possible. Tout cela tangue, inlassablement, vers le compliqué, le fatiguant… De toutes les façons, l’autre n’existe que pour lui-même, il m’oubliera vite tout comme je l’oublierai bientôt. L’autre restera pour moi un résidu, de la pluie noire dans la tête, et je ne serai plus rien pour lui, qu’un vague souvenir alanguit.

Sombre constat, je suis en l’occurrence, assez peu compassionnel avec un être qui ne réclame aucune compassion, mais c’est ainsi.


Un crachat en pleine face. Je déchire la page. La dernière page. Voilà la première :
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