Chacun devrait savoir que Debussy n’est pas un « peintre de paysage » ou tout du moins chacun devrait savoir que s’il peint un paysage , il ne peint jamais l’objet paysage, il l’efface au fur et à mesure qu’il s’y promène ou qu’il le contemple, il n’en laisse passer que « l’écho sensible », « l’image sonnante », il est trop musicien, trop ému, pour être peintre.
« On pourrait nier qu’il y eût la moindre description dans Debussy. Il transmute la nature en harmonies, en émotions sonores. Il ne re songe pas à peindre la forêt bruissante, mais ce que le cœur d’une jeune fille, marquée pour le mortel amour, y éprouve dans le profond abandon, à l’heure du crépuscule où elle rencontre son destin. Il ne cherche pas à rendre la lueur d’une lampe qui soudain s’allume dans une chambre obscure, ou le bêlement des moutons qu’on mène à l’abattoir, ou le murmure lent de la fontaine : il ne pense qu’à évoquer le doux soleil de la clarté dans un enfant qui tremble et la lumière qui entre comme un couteau dans l’esprit sanglant d’un bourreau; ou l’innocence perfide de l’eau qui trompe sur la fuite des instants et des baisers; ou l’immense, monotone et fatale douleur de la vie, lorsqu’on la surprend, au couchant qui rougeoie, dans un troupeau de pauvres bêtes sans malice et sans péché, que son destin, un bâton de berger à la main, pousse vers la mort, là, derrière la porte, loin du bercail, pour cette nuit déjà si proche. En musique, le paysage est un sentiment. »
(André Suarès, Debussy)