29 décembre 2019

Botaniste

Le cacaoyer planté dans un pot esthétique et fonctionnel aura tout du clown tropical contraint. C’est pourquoi l’esthète qui sommeille en nous devra éviter ce type de fomentations improbables. Dans nos contrées tempérées contentons-nous de modestes fougères, laissons les vivre en plein air, en bord de sous-bois, sans ostentation et supportant sans peine la longanimité de nos regards. Quant aux arbres exotiques, cacaoyers et autres calebassiers, sachons les apprécier chez eux et sur place, un daïquiri dans la main gauche et un havane au coin du bec.

22 décembre 2019

Velléitaire

Amis oblomoviens n’entamons pas une lutte fatigante contre la « start-up nation », laissons là simplement se déliter jusqu’à sa propre disparition, cela me semble une plus que parfaite non-initiative.

17 décembre 2019

Moyen-Oriental

Les comploteurs s’asticotent à l’ombre des tilleuls, 
le cheikh suçote un sérieux narguilé avec un drôle d’air cauteleux, 
au loin deux dromadaires blatèrent, 
le Colonel Lawrence a encore laissé traîner sa djellaba.

14 décembre 2019

Ionescien

Sa fille travaillant fort mal au lycée Eugène Ionesco prit l'idée d'écrire l'une de ses dissertations. Résultat un beau quatre sur vingt et cette appréciation du professeur : « puéril ».

11 décembre 2019

Douché

Pour être désenchanté, il faut avoir été enchanté. Alors, ne me regardez pas avec ce petit air pincé, je les ai eus mes moments sautillants !

6 décembre 2019

Magnifique

Mon vélo dissimulé, 
Pneus crevés, dans un fossé, 
Je vais à pied sur la route 
De mon enfance, coupée 
Par des arbres abattus. 

 (Henri Thomas, Joueur surpris)

Unicellulaire

Vous allez rire ou pleurer, mais il faut que vous sachiez que mes journées ressemblent de plus en plus aux journées d'un poulpe ou d'une méduse. Pire en mieux, j'ai la tenace certitude que mes journées ressemblent aux journées d'une amibe. Bref, je suis plein d'un irrépressible entrain unicellulaire.

28 novembre 2019

Tarabiscoté

Arno Schmidt vivait dans une maison entourée de grillages et de barbelés dont il ne sortait pour ainsi dire jamais. Un drôle de croquignolet qui ne pouvait manger que seul avec lui-même et travaillait jour et nuit tout en multipliant les attaques cardiaques comme d’autres multiplient les petits pains. Résultat une prose tarabiscotée, des mots valises, des lexies inusitées, un Joyce en pire… Il suffit de lire trois pages de Scènes de la vie d’un faune pour s’en convaincre : ce type était ailleurs, mais où ?

14 novembre 2019

Fichu

« Aussitôt l’enfant né, on le lavera avec soin, puis après lui avoir donné le temps de se remettre de ses premières impressions, on le fustigera vigoureusement en lui répétant : “N’écris pas ! N’écris pas ! Ne sois pas écrivain !” Si, en dépit d’une pareille correction, le dit enfant manifeste une inclination pour la littérature, on essaiera alors la douceur. Et si la douceur ne donne pas non plus de résultat, abandonnez donc l’enfant à sa destinée et inscrivez “fichu”. Le prurit littéraire est incurable. » (Anton Tchekhov, Règles du jeu à l'usage des écrivains novices)

18 octobre 2019

Colérique

Le 7 août 1965, Emil Cioran est victime d'une crise de colère dans le hall de la gare d'Austerlitz. Une employée insolente est responsable de cet emportement que l'on imagine sans peine un peu trop voyant. L'ami Emil en sera malade toute la matinée. Dans l'après-midi, l'accalmie venant il remarquera « que la vie est intolérable dans un pays où tout le monde est aussi irascible que lui [moi] ». Dans les extraordinaires Pensées de Joubert parues 115 ans plus tôt, en 1850, on peut lire ceci : « Il y a dans la colère et la douleur, une détente qu'il faut savoir saisir et presser ».

24 septembre 2019

Généalogique

Mon grand-père paternel avait 21 ans lorsqu'en 1940 lors de la finalement si peu drôle de guerre il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne dans un Stalag saumâtre situé non loin de la frontière hollandaise (Stalag VI-B à Versen). C'est là qu'il contracta la tuberculose qui allait le tuer 25 ans plus tard, en 1965 un an avant ma naissance. Je n'ai donc pas connu ce grand-père et aujourd'hui je dois bien constater, non sans un grand pincement ontologique, que je suis bien plus vieux qu'il ne l'aura jamais été. Si je vous ennuie avec tout ça, c'est parce que j'ai depuis peu en ma possession une belle et unique photographie où ce grand-père apparaît en tenue militaire. Il tient un livre dans la main droite et sourit avec cet air doux et un peu narquois assez caractéristique de la famille. La ressemblance est frappante, mais quelque chose achoppe, le doute demeure, et si ce beau jeune homme n'était pas mon grand-père ? Selon le registre des prisonniers de guerre disponible sur le site Gallica, mon grand-père était Caporal or, le soldat photographié ne semble pas plus gradé que ça. Serais-je dans l'erreur ? Aurais-je affaire à un illustre inconnu, un lointain cousin ? La seule chose dont je suis certain, c'est qu'en regardant cette photographie, je regarde un spectre : « La Photoportrait est un champ clos de forces. Quatre imaginaires s’y croisent, s’y affrontent, s’y déforment. Devant l’objectif, je suis à la fois celui que je me crois, celui que je voudrais qu’on me croie, celui que le photographe me croit, et celui dont il se sert pour exhiber son art. Autrement dit, action bizarre : je ne cesse de m’imiter, et c’est pour cela que chaque fois que je me fais (que je me laisse) photographier, je suis immanquablement frôlé par une sensation d’inauthenticité, parfois d’imposture (comme peuvent en donner certains cauchemars). Imaginairement, la Photographie (celle dont j’ai l’intention) représente ce moment très subtil où, à vrai dire, je ne suis ni un sujet ni un objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet je vis alors une micro-expérience de la mort (de la parenthèse) je deviens vraiment spectre. » (Roland Barthes, La Chambre Claire).

9 septembre 2019

Atrabeyliste

Le mercredi 24 mars 1813, Stendhal est froid, absent de toute passion, spleenétique pour tout dire. Le samedi 27 mars 1813, sa froideur perdure. Le mercredi 31 mars 1813, il se rend chez Mme Durbeill qu'il trouve insignifiante de bêtise. Voilà une « faveur passée » comme une fleur (elle était belle en 1810).

8 septembre 2019

Poulotien

 « Vivre ne fait pas toujours grossir, ou maigrir. Moi, ce qui m'a donné un peu plus de poids, c'est la routine sexuelle. Question de glandes. Quand j'ai eu fait l'amour régulièrement – c'est assez lointain – je me suis aperçu que je grossissais. Non. Que je gonflais. Bien connu. Alors qu'avant, les rares gestes amoureux que je manifestais avec ces dames me faisaient plutôt:maigrir. Mai vrai, depuis que je suis, comme on dit, marié, j'ai pris un peu de ventre, des joues, de la poitrine. Mêmes les poils se sont multipliés. Ce sont des choses qu'on remarque, qu'on accepte. On s'aperçoit. Curieuse expression. Les gens qu'on rencontre ne sont pas les derniers à s'apercevoir. On vous préférerait maigre. Exsangue. Je crois tout de même que le fait de vivre empâte, gonfle. Pourrit. Quand j'ai bu un peu trop, je me sens gonflé, plein de liquide. On me dit que j'ai bonne mine. L'air de la mer. Parle toujours. J'ai trop bu, c'est tout. On a une idée très nette de sa santé. De sa poire. Je sais quand je vais bien. Quand je vais un peu plus vite vers la mort, qui s’éloigne. Il est amusant de constater que c'est quand on est lent – sans tête, sans vigueur – que la mort, somme toute, est le plus près. Les hommes parlent rarement des choses quotidiennes. Je me demande souvent pourquoi. Qui veulent-ils tromper ? Parler de sexe, c'est facile. C'est du luxe. Mais Freud n'aurait jamais existé si les hommes n'avaient sottement éprouvé le besoin d'inventer ce qui les dépasse, mais est leur peau même. Ce qui leur nuit. Ce qui est leur nuit. Auprès de laquelle celle qui me tombe sur le dos paresseuse. » (Georges Perros, Papiers Collés)

17 juillet 2019

Ragoutant

En Kirghizie pendant les festins on vous présente sur une assiette, la tête bouillie d'un mouton. Il faut manger la cervelle puis extraire l'un des deux yeux de la bestiole et l'avaler séance tenante. Le maître des lieux gobe l'autre œil. Avouons-le, tout cela n'est pas très végan.

15 juillet 2019

Sépulcral

Emil Cioran trouvait le Père-Lachaise si laid qu'un jour de juillet 1965 il émit le souhait que ce trop fameux cimetière soit rasé séance tenante et transformé en jardin public. Disons le tout net, sur ce coup-là notre fildefériste roumain préféré n'avait certainement pas tort d'avoir encore raison, le Père-Lachaise n'offre qu'un entassement de sépultures qui frise la foire, tout manque d'espace, pour les vivants et encore plus pour les morts. L'ami Emil, lui, sera enterré au cimetière du Montparnasse, un cimetière plus aéré où les morts respirent presque autant que les vivants… Sa tombe est bien tenue et quasi chantante, il y a un petit drapeau roumain et quelques fleurs posées dessus. Plus loin, la tombe de Beckett est plus austère, elle est décorée par trois cailloux, et rien d'autre…

8 juillet 2019

Saharien

Feuilletant les cahiers de l'ami Cioran je constate que ce dernier n'était pas un très grand sectateur des naines jaunes en furie : « Il n'y a pas sous le soleil d'individu plus lamentable que moi ». Comme j'aime le soleil, mais pas tout le temps, j'ai envie de souffler à mon fildefériste roumain préféré que tout dépend de l'hyperthermie plus ou moins prononcée, de la présence d'une brise légère, d'un cumulus passager offrant un alinéa de climatisation toute naturelle, le soleil de Madère n'est pas celui du désert libyen, le soleil d'avril pas celui de juillet, les tiédeurs ne sont pas toutes les mêmes, et il m'est même arrivé de me trouver bien lamentable dans des froideurs trop patibulaires pour être honnêtes.

5 juillet 2019

Suicidaire

« On se suicide par pudeur, par orgueil, par modestie, par discrétion, par peur de la mort (ce qui est un comble) ou des gendarmes ; par lassitude, par vengeance, par plaisir, parfois même par curiosité. Le chinois se suicide pour embêter son créancier, l'homme-torpille par patriotisme ; le Britannique par spleen ; un Écossais se pendit parce que les gilets ont trop de boutons. "Aujourd'hui, tout le monde vit !" me disait une jeune fille avec un air scandalisé. Il y a évidemment trop peu de gens qui se suicident ; ce ne sont jamais ceux qu'il faudrait.» (Alexandre Vialatte, Chroniques de la Montagne)

19 juin 2019

Sétois

Visitant la cathédrale de Chartres Paul Valery, oui Paul Valery le docte sétois, reste en admiration devant quelques beaux vitraux. Il est ravi par leur aspect granulé, des « grains de merveilleuses pierreries, des grenades de paradis » par leur combinaison de bleus et de rouges… Il est ravi par tout cela et il pense, allez savoir pourquoi, au très lactescent Mallarmé : « Certaines phrases du Mallarmé en prose sont vitraux. Les sujets importent le moins du monde – sont pris et noyés dans le mystère, la vivacité, la profondeur, le rire et la rêverie de chaque fragment – chacun sensible, chantant… » .

24 mai 2019

Aligné

Dans Connaissance de l'Est Paul Claudel, oui Paul Claudel l’ambassadeur sybarite, constate que les rues des villes chinoises sont faites pour un peuple habitué à marcher en file indienne (ce qui ne manque pas de sel pour des Chinois). Ainsi, chaque quidam prend place dans un rang qui ne semble jamais vraiment commencer et ne jamais vraiment finir, mais qui forme un tout parfaitement aligné. Les maisons qui bordent les multitudes de rangs ressemblent à des caisses défoncées, mais bien rangées, dans lesquelles un esprit futé à aménagé des interstices où les habitants dorment orthogonalement au milieu de marchandises diverses et variées : « N'y aurait-il pas des points spéciaux à étudier ? la géométrie des rue ? la mesure des angles, le calcul des carrefours ? la disposition des axes ? tout ce qui est mouvement ne leur est-il pas parallèle ? Tout ce qui est repos ou plaisir, perpendiculaire ? »

8 mai 2019

Mathématique

« Je ressens à un très haut point la philosophie des nombres. Des équivalences d'une arduité éberluante se présentent tout à coup à mon esprit comme étant d'une évidence à quoi l'art le plus expert ne peut rien supplémenter. Je fonce de la tête et tombe juste. C'est comme si un phare, alors que les ténèbres environnent, balaye d'un jet dévorateur tout une région. Est-ce que je me vante ? Non, je suis vraiment ainsi. Je comprends tout tout de suite, mais il me faut des moyens qui n’abâtardissent pas je ne dirai pas intelligence – je répète que je n'en ai pas beaucoup -, mais le sens d'une illumination continuelle qui est ma façon de procéder dans la mise au net de importe quel problème ». (Charles-Albert Cingria, Le Carnet du chat sauvage)

14 avril 2019

Printanier


Le refleurissement pointe le bout de son nez,
la tiédeur enfle chichement,
les oiseaux gazouillent piane-piane,
tout semble bercé par une tendre anabiose vernale et voilà que soudain…
par la fenêtre entrebâillée de l'un de mes voisins,
horreur et damnation
monte et redescend le son d'un djembé frappé,
consciencieusement.

Maudit printemps !

20 mars 2019

Pouétique

Les sourires courts.
Des violons printaniers.
Ravivent mon palpitant. 
D'un élan.  
Capricant.

13 mars 2019

Tired

My shell of weariness is my new house.

11 mars 2019

Sensible

Stendhal était un si grand sensible qu'il lui poussait au débotté des pensées ayant tout du charmant, mais aussi beaucoup de la promptitude éphémère. Ses élans tonitruaient comme des éclairs et il lui fallait donc les consigner très rapidement, en somme retranscrire en plein vol ce qui lui passait par l'émotion. On concédera aisément que l’exercice soit périlleux. Allez saisir des éclairs ! Allez les réécrire sur le papier !

16 février 2019

Circulaire

L’observateur neutre et attentif constatera avec moi que le mouvement dit des « gilets jaunes » est devenu un tantinet problématique lorsqu'il a pris la drôle d'idée de vouloir quitter le circulaire des ronds-points pour se complaire dans la fausse fluidité des monômes supposément rectilignes. En somme, voilà encore des types, et des typesses, qui avançaient mieux lorsqu’ils, et elles, tournaient en rond.

14 février 2019

Apragmatique

Mon canapé est un rocher, je suis une moule.

28 janvier 2019

Distant

Plus qu’un quelconque point de friction avec le monde, il me faut rechercher la distance, cet écart sans lequel je ne saurais vivre, cet écart qui peut aussi être un blanc, une marge, un interstice. Voilà pour pouvoir vivre, il me faut des blancs, des marges, des interstices ! Donnez-moi des blancs, des marges, des interstices !

25 janvier 2019

Inoccupé

« … Je suis d'avis que sans oisiveté le vrai bonheur est impossible. Mon idéal : être oisif et aimer une fille plantureuse. La volupté suprême, pour moi : marcher ou rester assis, mais ne rien faire ; mon occupation préférée : collectionner ce qui ne se fait pas (des petites feuilles, des brins de paille et ainsi de suite)… » (Anton Tchekhov, lettre à Lydia Mizinova).

5 janvier 2019

Footballistique

George Perros aimait beaucoup le football. Il se rendait régulièrement au stade et il lui arrivait même d'entrer sur le terrain, comme ça au débotté, lorsqu’un joueur de L'Union sportive laïque Douarneniste venait à manquer. Sur la feuille de match, il signait alors «Tchekhov », c'était assez drôle.