« Si l'on voulait appliquer à l'homme la parabole du figuier stérile, on pourrait peut-être dire ceci : le bon, le doux, le grand jardinier ne le jette pas au feu pour autant ; à chaque printemps il regarde le feuillage stérile, et à chaque printemps il le laisse verdir, jusqu’à ce que les feuilles se fassent de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’enfin ne se dressent plus que les branches desséchées. Alors, l’arbre est arraché du jardin, et à sa place on met autre chose. Les autres plantes, elles, continueront à fleurir et à croitre, mais nulle ne pourra dire qu’elle est issue de ses graines, ni que les fruits savoureux qu’elle porte viennent de lui. Toujours et toujours le soleil fera descendre sa lumière, toujours le ciel bleu sourira, de millénaire en millénaire, et la terre se revêtira de son ancienne verdure et les générations descendront leur longue chaine jusqu’au dernier enfant : lui seul est exclu de tout cela, parce que son existence n’a formé nulle image, parce que les bourgeons ne lui permettent pas de descendre le fil du temps. Même s’il a laissé après lui d’autres traces, celles-ci s’effaceront comme s’efface tout ce qui est terrestre, et quand enfin tout aura disparu dans l’océan des jours, les choses les plus grandes, les plus grandes allégresses, lui disparaitra d’abord parce que tout en lui sombre déjà tandis qu’il respire, tandis qu’en lui persiste la vie. »
(Adalbert Stifter, L'Homme sans postérité)
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