19 octobre 2010

Sincère

« Je me rappelle, et je suis parfaitement sincère quand je crois qu´ils ne seront que très, très peux nombreux à comprendre ce que je vais dire maintenant, je me rappelle, dis-je avec une modeste témérité, que chaque fois que je passais un vieux pont de bois, que je me trouvais devant un portail de parc, que mes yeux plongeaient sur quelque plaine, que je contemplais quelque panorama, ou que je tâchais d´évaluer, d´apprécier une ambiance matinale ou vespérale, il ne me venait que des réflexions sérieuses, sur moi et sur l´humanité, sur l´Être et le firmament, mais chose étrange, dès que je me décidais à écrire, des fôlatries se mettaient à voleter tout autour de moi, on eût dit que l´écriture me paraissait comique, en sorte que j´ai peut-être gardé beaucoup de choses par-devers moi. Je confesse d´ailleurs bien volontiers ce détail qui me caractérise, à savoir qu´en écrivant, j´ai tu, pour ainsi dire, pas mal de choses, et cela, sans la moindre préméditation, car comme écrivain, je formulais de préférence ce qui pouvait n´être pas trop ardu, pas trop délicat à dire, le plus facile, tandis que tout ce qui était difficile je le gardais en moi quand je sortais vaquer à ce qui m´a occupé ici, certes fugitivement seulement, selon ce qui semble être mon habitude. »

(Robert Walser, Le Territoire du crayon)

2 commentaires:

Murielle Joudet a dit…

Tiens je lis aussi Walser en ce moment, les Enfants Tanner.
Sinon, cette citation est merveilleuse.

Philippe L a dit…

merci d'aimer Robert Walser