27 mai 2010

Virtuose

Il faut savoir que Charles-Marie Widor « l'Aristocrate de l'orgue » fut pendant soixante-quatre ans organiste « temporaire » de l’église Saint-Sulpice où , pilier parmi les piliers, solide et marmoréen dans les courants d’air, il délivrait au milieu des toussotements et par la grâce innée de deux pattes expertes, moult mélopées grasses à l’adresse de Dieu. En dehors de l’église et de toutes ces sournoises pratiques manuelles poinçonnées du sceau du bigot, notre olibrius fut également professeur au Conservatoire de Paris où il eut pour élèves d’illustres futurs tâteurs d’orgues ; les non encore six, mais là bien deux, Arthur Honegger et Darius Milhaud, le sémillant Albert Schweitzer, l’habile Marcel Dupré…
Nonobstant tout ce grand sérieux-là, ses, tour à tour, pieuses et doctes activités indoor oubliées, Charles-Marie Widor se révélait être le grand air atteint un croquignolet de la plus acceptable espèce. En effet il se murmure que notre bigot débigoté menait de bien curieuses expériences musicales sur la faune environnante ! Un jour de croquignolerie aiguë il aurait, par exemple trimballé tout un orchestre au Jardin d’Acclimatation ! Là, selon quelques spectateurs indemnes, mais encore interloqués, le rhinocéros fonçait sur la grosse caisse, les phoques chérissaient tout, sauf le jazz ; le goût des éléphants allait plutôt vers la musique ancienne ; tendres proboscidiens, instantanément ils devenaient rêveurs (l’effet Babar)… Wagner faisait hurler les loups, les renards, les chacals... La girafe considérait Gounod à sa juste hauteur. Le crocodile était, lui, un mélomane parfait, tellement passionné par l’orgue que Charles-Marie avait ramené l’une de ces charmantes bestioles à domicile ; dans la baignoire, il lui jouait du Bach, c’est toujours mieux que les sacs à main, et d’un divin. ! Il faut noter qu'à l’exception des araignées, manifestant un singulier penchant pour le clairon, les insectes environnants se montraient en règle générale suspicieux face à l’hélicon voir au mieux indifférents devant les orphéons militaires.
Tout cela nous donnera ce mot très sombre de Léon Paul Fargue : « A votre orgue, les moustiques préfèrent leur propre musique » et nous de rire sous cape.

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