Je suis décevant

2 janvier 2023

Un cancre

Et je marchais cheveux au vent
mon cartable au bout de mon bras droit
qui n'était pas si long
et un peu maigrichon

Un cartable ?
non, plutôt une besace 
celles que l'on achetait dans les surplus militaires
une besace kaki avec des mots écrits au feutre noir
et puis des badges accrochés dessus
des badges de toutes couleurs

Elle était bien vide cette besace
j'avais encore oublié trousse cahiers et livres
et je m'en fichais
et je sifflotais
et je marchais cheveux au vent


*


Le cours de gymnastique était le mieux
c'est celui ou nous fumions le plus
derrière le préau 
laissant partir devant nous le gros de la troupe
qui ahanait 
qui ahanait

Le cours de biologie était le pire
c'est celui où nous dépecions des bestioles
grenouilles et souris blanches 
viscères sortis dans des odeurs de formol
nous regardant de biais
une larme au coin de l'œil

Venu le temps de la grammaire
des mathématiques 
de la physique et de la chimie
on s'approchait silencieusement des radiateurs 
qui étaient bien chauds
qui nous portaient vers les songes

Restait l'histoire et ses vieux Romains
restait la géographie
Tananarive, Mogadiscio
Célèbes et Mar del Plata
la fumée des steamers
la pluie sur les carreaux



11 septembre 2022

Diaristique

Après une longue et pénible chasse à la coquille, voilà « mon » livre. C'est un vague Journal partiellement expurgé de l'intime où il est surtout question de météorologie, de livres certainement un peu mal lus, de quelques voyages plus ou moins exotiques, du morne agrégat du quotidien et des larges vicissitudes du labeur rémunéré. Ce vague Journal vous n'êtes pas obligés de le lire entièrement. Vous pouvez l'ouvrir au gré du hasard, picorer dedans, vous laisser emporter ou pas. Vous n'êtes même pas obligés de l'ouvrir. Vous pouvez par exemple l'utiliser pour caler une commode chiquement boiteuse. Bref, vous pouvez faire tout ce que vous voulez avec lui.

Je ne me suis pas enquiquiné pour la couverture, me contentant d'un minimalisme lactescent de bon aloi. Ma petite affaire n’a pas d'index, son prix est de 22.54 €  et elle est commandable à cette adresse.

L'investissement est un peu excessif, mais mon train de vie ne cesse pas d'enfler, alors faites un petit effort. Merci d'avance.

P.-S. Ma chasse aux coquilles aura été bien vaine. Ouvrant mon machin diaristique à la page 220 j'en dénombre pas moins de deux. Dieu que tout cela est fatigant !


26 mars 2022

Antonymique (2)

Le carillonneur

Tandis que le bourdon excite son organe vitré
À l’azur hyalin et cristallin et pélagique qui déboule
Et glisse sur l’enfantelet qui lance pour le botter
Une liturgie entre l'aspic et la farigoule,

Le carillonneur caressé par le piaf en lumière,
Montant mélancoliquement en lamentant du romain
Sur le caillou qui étarque la hart centenaire,
N’ouï jusqu'à lui qu’un glas au loin.

Je suis ce Sieur. Malheureusement ! des ténèbres avides,
J’ai beau tendre la corde à carillonner l'élevé,
De fraiches coulpes se joue un pennage dévoué,

Et le chant ne me vient que par débris et vide !
Mais, une seule fois, las d’avoir enfin tendu,
Ô Diable, j’enlèverai le caillou et me suspendrai.

19 mars 2022

Larmoyant

 Que deviennent les larmes que l’on ne verse pas ? Jules Renard disait que la plus sotte exagération était celle des larmes. Elles l’agaçaient comme un robinet qui ne ferme plus. Pour lui chaque pensée absorbant une larme, il n’était pas question de penser et pleurer en même temps. Cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur rempli de feuilles mortes. Il y a un beau poème de Léon-Paul Fargue qui tourne autour des larmes taries, les larmes non versées d’un type qui vacille au sommet du désespoir. Il monte, monte… il monte au-dessus des hommes, il a du chagrin, il souffre, il n’y a plus de coton dans son cœur. Chez Mallarmé on ne se contient pas, les larmes ont un pouvoir lustral. C’est l’eau limpide de sa douleur et il suffit de lire les notes écrites sur la mort de son fils Anatole pour avoir les yeux humides et le cœur pincé.

16 mars 2022

Antonymique

 L'éveillé  du mont

C'est une bosse desséchée où se tait une larme,
Décrochant tièdement aux racines des atours
De peu ; où la lune, de la dépression sans charme,
Pâlit : c'est un grand mont qui sourd sans tambour.

Un officier vieux, bouche fermée, chapeauté
Et la tête immergée dans les blafards sapins verts,
Veille ; il est debout sur l'herbe, sous la ruée,
Sanguin droit dans ses bottes rouges où l'ombre se terre.

Les mains dans les épines, il veille. Grimaçant comme
grimacerait un vieillard bien portant, il tonne :
Artifice, secoue-le froidement : il a chaud.

La puanteur ne calme pas son esprit ;
Il veille dans  l'obscurité, le pied sans tromperie
Vibrionnant. Il aura deux médailles vertes sous les drapeaux.

(Traduction antonymique n°63)

11 mars 2022

Ironique

 L’ironie et le ricanement sont deux choses bien différentes. Il est important de ne pas ricaner. Quant à l’ironie, et notamment l’ironie en littérature, vaste programme ! Il y a des ironistes évidents et des ironistes moins évidents. Tenez par exemple l’ironie de Jules Renard est bien connue, celle de Mallarmé ou de Cioran, moins. L’ironie de Jules Renard ne dessèche pas, elle ne brûle que les mauvaises herbes, c’est aussi la pudeur de son humanité. L’ironie de Mallarmé, oui il y a donc de l’ironie chez Mallarmé, est « un vertige contrôlé de l’esprit, un suprême sourire de la volonté ». L’ironie de Cioran est le privilège de son âme blessée, le témoignage d’une brisure secrète, un aveu, ou le masque qu’emprunte la pitié qu'il peut éprouver pour lui-même.

Pluvieux

 Paul-Jean Toulet pense qu' il y a des pluies de printemps délicieuses, où le « ciel a l’air de pleurer de joie ». C'est joli, mais le printemps ne sera là que dans neuf jours et en attendant c'est moi qui pleure sous l'averse (j'ai oublié mon parapluie).

9 mars 2022

Thermonucléaire

 Que faire en attendant la guerre thermonucléaire ? Vous pouvez vous gratter le nombril en regardant le plafond. Vous pouvez aussi courir nu autour de votre canapé tout en ponctuant votre course  de quelques sautillements capricants.  Voilà pour la partie la plus sportive, la partie gymnopédique. Pour ce qui est de la partie intellectuelle, vous pouvez vous coucher tranquillement sur votre canapé (toujours le même, j’imagine que vous n’en avez qu’un) et lire des choses inconnues de la morne piétaille. Vous pouvez par exemple  lire « Le dilettantisme - Essai de psychologie, de morale et d'esthétique »  par Claude Saulnier (Librairie philosophique J.Vrin, 1940). Cet assemblage de lexies, de syntagmes, de lignes et d’interlignes, de paragraphes et d’alinéas offre quelques satisfactions. Jugez par vous-même : « La pure contemplation serait vite fastidieuse pourtant, si elle n’était que passive et si elle s’opposait d’une façon absolue à l’action. Or, il est bien évident qu’une pure contemplation parfaitement inactive est inconcevable : elle est d’ordre esthético-mystique et, si elle se réalise, elle aboutit à une ataraxie, à un “bouddhisme”, qui se détruit elle-même.  En réalité, le dilettantisme est essentiellement actif, mais d’un mode d’activité tout particulier et fort différent de l’action sociale. Il n’y a contemplation esthétique que par un rythme, une alternance, et ce rythme est porté au maximum d’intensité, chez le dilettante, dont toute l’attitude se réduit finalement à la pure virtuosité. »


8 mars 2022

Fitzgeraldien

 Le vendredi 13 décembre 1940 Scott Fitzgerald dîne chez Dorothy Parker avec Nathanael West. Huit jours plus tard le 21, il meurt d’un accident coronarien. Le lendemain Nathanael West se tue en auto avec sa compagne Eileen dans une collision près D’El Centro (Californie). On enterrera Fitzgerald dans le cimetière communal de Rockville (Maryland). Nathanael West et sa compagne seront enterrés au cimetière de Mount Zion dans le Queens à New-York. Devant le cadavre de Fitzgerald, son ami, la seule à veiller, Dorothy Parker répétera - The poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch (c’était l'oraison funèbre de Jay Gatsby). Elle est morte des suites d’une crise cardiaque le 7 juin 1967. Son corps sera incinéré, on perdra son urne funéraire. C’est une longue histoire.


6 mars 2022

Timide

 Paul Valéry n’était pas qu’un esprit absent au monde, un génial et aigu ermite de l’intelligence, c’était aussi un type sympathique qui l’âge aidant se laissera même aller à quelques tendresses. Voilà une image tout autre que celle donnée par le « petit monsieur sec » se déclarant « ennemi du Tendre » et déléguant tous les pouvoirs à sa propre intelligence. On pourrait même tamponner et renforcer nos propres propos en constatant que la maîtrise parfaite des émotions, cette délégation de tout au cogito, montré par Valéry n’étaient que le paravent sévère, mais protecteur d’un homme travaillé par une grande timidité. On pourrait tamponner et renforcer nos propres propos, mais nous ne le ferons pas, car avouons-le, tout le monde se fiche éperdument de Paul Valéry.

4 mars 2022

Idiot

 Baudelaire cet homme d’esprit qui ne s’accordait avec personne, s’appliquait à aimer la conversation des imbéciles et la lecture de mauvais livres. Il en tirait de belles jouissances qui compensaient largement sa fatigue d’exister. Chez les frères Goncourt les gens spirituels dans leur vie, pas bêtes dans la conversation, laissent parfois affleurer dans leurs livres la bêtise dissimulée dans leur fin fond. La bêtise faisait suffoquer Flaubert, ce qui était imbécile, car autant vouloir s'indigner contre la pluie. Il pensait également que « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Ce en quoi il n'avait pas vraiment tort.

28 février 2022

Shakespearien

 Shakespeare pose parfois de drôles de questions. Par exemple, il cherche à savoir « où va la blancheur lorsque la neige fond ? » Ce n’est pas vraiment idiot, c’est même une belle interrogation poétique, et Shakespeare est aussi un grand poète. J’ai envie de lui répondre qu’il y a peut-être un peu de la blancheur de la neige fondue dans la Brise Marine de Mallarmé, dans cette jeune femme allaitant son enfant, dans ce papier vide défendu par du lactescent. J’ai envie de lui répondre cela, mais je me trompe peut-être : je n’ai pas lu tous les livres.

6 février 2022

Rêveur

 Platon répète à qui veut bien l’entendre que les hommes vivent dans un rêve. Pindare pense que l’homme est le rêve d’une ombre. Pour Shakespeare nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les songes, et notre vie bien courte a pour frontière le sommeil. Pessoa enroule le monde autour de ses doigts comme on pourrait jouer avec un fil ou un ruban. Il rêve à sa fenêtre.

5 février 2022

Heureux

 Pour Michel Houellebecq il ne faut pas avoir peur du bonheur, car il n’existe pas. Franz Kafka pense lui qu’il existe une possibilité de bonheur, et même de bonheur « absolu ». Il suffit de croire à quelque chose d’indestructible en soi et de ne pas chercher à l’atteindre. Chez Lao Tseu le bonheur naît du malheur, chez Nietzsche c’est le son d’une cornemuse, chez Jules Renard « le bonheur c’est de le rechercher ». Tchekhov est triste d’être heureux. À son habitude, Mallarmé fait semblant de tout compliquer. Pour lui le bonheur est une léthargie céleste qui constitue tout à la fois un modèle et un obstacle : il voudrait pouvoir oublier son âme dans l’insensibilité de l’azur et des pierres. Quant à moi, ça va à peu près, je sifflote en repeignant le plafond.


4 février 2022

Humoristique

 Jules Renard est un humoriste diablement sautillant, mais c’est aussi un homme de bonne mauvaise humeur pour qui l’ironie est la pudeur de l’humanité. Chez Erik Satie on peut selon sa fantaisie ne choisir que ce qui est rigolo dans l’existence. On évite ainsi plus d’un embêtement, on coupe au Service Militaire, on s’excuse aux enterrements, on ne règle pas sa couturière. Pour Georges Perros on a de l’humour dans la mesure où « l’autre » ne s’en aperçoit pas. Schopenhauer (Arthur) pense que l’humour repose sur une disposition particulière de l’humeur, où sous toutes ses formes, il remarque une « forte prédominance du subjectif sur l’objectif, dans la manière de saisir les objets extérieurs ».   Henri Roorda constate que quand on lit les théoriciens du rire, on ne rit plus trop. Quant à moi, j’essaye d’être à côté, sans exagération ni hyperbole, dans une ironie plaisante et sentimentale, une ironie inachevée tournicotant autour d’un compère complice. C’est ce que j’appelle humour.

3 février 2022

Malin

 Répétez cent fois ces mots après moi : « le choucas tchèque Kafka ». Rajoutez des congas, des maracas, un marimba. Mettez un chapeau de paille, vous allez prendre un coup de soleil. La Mitteleuropa s’éloigne voilà les Antilles.


2 février 2022

Tempéré

 Pour Hippocrate, un vieux médecin grec qui connaissait plein de choses, le froid est l' ennemi des os, des dents, des parties nerveuses, de l’encéphale et de la moelle épinière. Le chaud est par contre l'ami de tout ça. Permettez moi d'avoir quelques doutes. J'ai plutôt l'impression que le froid conserve tandis que le chaud conduit à une bien inévitable putréfaction. Bon je raisonne ainsi parce que mon encéphale est indéniablement congelé, ce qui nous avance bien. Finalement la solution dans toutes ces histoires de température c'est le tempéré. Sur l'île de Madère, les autochtones ont l'air intelligent et doux.


1 février 2022

Philosophique

 Le labeur derrière moi je fais un petit tour dans le Monde comme volonté et comme représentation de l’ami Schopenhauer. Voilà une somme replète où les idées fusent. Tenez par exemple parmi ces idées celle-ci : pour Schopenhauer « la musique pourrait (en quelque sorte) subsister sans que l’univers existât ». Drôle d’idée, qui semble de prime abord plus poétique que philosophique. Idée qui semble potentiellement  absurde,  mais qui bien évidemment ne l’est pas. Pour Schopenhauer l’univers non existant  où la musique existe n’est pas une abstraction parnassienne c’est « simplement » un ailleurs indépendant du (monde) phénoménal, un ailleurs faisant fi de l’interaction du cogito, mais qui fait directement avec la volonté : « La musique, en effet, est une objectivé, une copie aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde, que le sont les Idées elles-mêmes dont le phénomène multiple constitue le monde des objets individuels. Elle n’est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes. C’est pourquoi l’influence de la musique est plus puissante et plus pénétrante que celle des autres arts : ceux-ci n’expriment que l’ombre, tandis qu’elle parle de l’être ».


31 mai 2021

Pélargoniumiste

 Figurez-vous que dans toute l’œuvre de Paul Valéry il n'est jamais question du géranium ! Il ne l’évoque même pas dans son fameux « Cimetière Marin » où il y a beaucoup de lumière, des vers de terre, des insectes et des racines, du bleu, des flèches ailées, des filles chatouillées qui poussent des cris aigus, mais jamais au grand jamais l'ombre portée d'un géranium ! Voilà pourtant une plante de cimetière idéale, elle demande certes un arrosage semi-soutenu — qui n'a pas vu une veuve tristounette porter deux arrosoirs à bout de bras ne connaît pas vraiment les cimetières —, mais guère plus que ça.

Comme tout fricote dans une coalescence soutenue, comme tout se confirme et s’accorde toujours, la tombe de Paul Valéry est à l’image de son œuvre : dépourvu du moindre géranium. On peut la voir froide et impassible, accrochée sur l’une des pentes du Cimetière Saint-Charles de Sète ( le vrai nom du fameux Cimetière Marin). Quelques arpents plus loin sur la tombe de Jean Vilar une petite armée de pots de fleurs bondés de joyeuseté colorée nous ferait presque oublier la rude phénoménalité du marmoréen. Parmi ces pots, deux pots de géraniums. Décidément, le « théâtre populaire » cède au pélargoniumisme.

Rétrospectif

 Je suis né un jour de printemps et depuis les courtes catastrophes n’ont cessé de croître autour de moi. Mon enfance fut heureuse bien que parfois un peu effarouchée. Ma jeunesse fut idiote comme toutes les jeunesses. J’endosse ma vie d’homme avec une certaine confusion, parvenant à l’âge mûr sans la moindre appétence pour un monde qui semble s’écrouler de toute sa masse. Je serais sénile de par moi-même, le résultat lacuneux d‘une somme d’échecs  plus ou moins  tangibles. Quoi que je fasse de plus, il faudra que je meure ensuite.


6 février 2021

Umouristique

  Le 26 septembre 1915 Jacques Vaché est couché dans un petit lit bien doux de l’hôpital de Nevers. La vieille, au front, en première ligne, il a été blessé par l’explosion d’un sac rempli de trente grenades… Le voilà avec de petits éclats dans la cuisse, le mollet et la cheville gauche. On lui retire tout ça sans l’endormir : « j’ai tenu jusqu’au dernier… où j’ai crié. Mais quelles souffrances ! Vraiment ceux qui se font couper la jambe en fumant une cigarette sont prodigieux. » 


Soulographe

 Le 11 février 1966 Emil Cioran dîne avec des Roumains soûlographes. Il boit la valeur d’une bouteille de Bordeaux et se retrouve avec l’impossibilité de contrôler son cerveau : « j’ai déconné pendant des heures. Que tout cela était stupide ! »
Le même jour naissait Dieudonné M' Bala M' Bala, qui finira humoriste.


13 octobre 2020

Inutile

Mai 68. Voyant quelques enragés manifester dans la rue Eugène Ionesco un peu ivre ouvre les fenêtres du Mercure de France et beugle un tonitruant: « Dans trois semaines, vous serez des notaires ! ». La rue lui répond avec un pavé qui brise l’une des vitres de l’auguste maison d’édition. Tout cela est raconté dans le Journal Inutile de Morand, qui est donc un peu drôle. Tenez par exemple on peut aussi y lire ceci le 29 juillet 1968 : « Slogan pour l’Odéon, en octobre : L’avenir de la jeunesse, c’est la vieillesse ».

7 mai 2020

Pendu

Le 25 septembre 1977, Philippe Jullian dandy notoire s'est pendu avec sa cravate au crochet d'une porte. À cinquante-sept ans, il se trouvait trop vieux.

6 mars 2020

Immobile

Le 27 mai 1918 vers sept heures du soir devant Vailly-sur-Aisne, une balle entre par l'épaule droite du lieutenant Bousquet, lui troue quatre fois les poumons puis la colonne vertébrale. On entend deux cris, l'un un peu sourd, celui du blessé, l’autre atroce : “ Quel malheur ! le lieutenant est tué ! " Pourtant, le lieutenant n'est pas tué, c'est son corps qui est tué ! Voilà une paraplégie, une immobilité légendaire ! Bousquet raconte tout cela – bien mieux que moi – dans une lettre adressée à Maurice Nadeau le 13 juillet 1945. Dans cette même lettre, il évoque également ses relations avec le gratin surréaliste : Éluard, Breton, Tanguy, Max Ernst… Ce même Max Ernst qui, drôle d'ironie, était lui aussi sur le champ de bataille de Vailly-sur-Aisne, de l'autre côté... du côté allemand : « Mes soldats ont voulu me sauver. J’ai inutilement exigé qu’ils me laissent sur place, qu’ils me laissent à ma commençante agonie. Ils m’ont arraché malgré moi au champ de bataille… Eh bien, Nadeau, écoutez-moi avec attention. Mes soldats m’ont emporté au milieu des coups de feu. Max Ernst allait passer. Max passait. Max Ernst, lieutenant d’artillerie dans l’armée allemande, mais accompagnant un bataillon d’assaut, sortait de Vailly, que j’avais reçu l’ordre de reprendre, avec les vagues victorieuses… »

5 mars 2020

Tchekhovien

En mars 1894 Anton Tchekhov est en villégiature à Yalta et même s’ il mange des petits pâtés au piment et des côtes d'agneau au gruau chez la directrice du lycée de jeunes filles, il s'ennuie solidement. Il faut dire qu'il n'a pas vu ses deux teckels Brome et Quinine depuis plus d'un mois et que pour lui le printemps du sud ne vaut pas celui du nord :« chez nous la nature est plus triste, plus lyrique, plus levitanesque » (j'ai des doutes). Malgré tout cela les choses et le temps cheminent tout de même cahin-caha, il vend sa pelisse en renard vingt roubles (elle en valait pourtant soixante !), les groseilles ne sont pas encore mûres, mais il fait bon, le ciel est clair et les bourgeons des arbres commencent à éclater tandis que la mer à des airs d'été. Le 27 mars il écrit une lettre merveilleuse à Lydia Mizinova, le ton n'est pas très macroniste, jugez pas vous-même : « … Je suis d'avis que sans oisiveté le vrai bonheur est impossible. Mon idéal : être oisif et aimer une fille plantureuse. La volupté suprême, pour moi : marcher ou rester assis, mais ne rien faire ; mon occupation préférée : collectionner ce qui ne se fait pas (des petites feuilles, des brins de paille et ainsi de suite)…»

22 février 2020

Inclusif

Chères amies et chers amis sachant qu'au grand jamais je ne scribouillerai en écriture inclusive, il me faut donc pour être un tantinet au goût du jour utiliser moult doubles flexions et autres mots épicènes ce qui je dois bien le dire me fatigue assez (notamment les doubles flexions). À ce titre si les femmes pouvaient définitivement prendre tous les pouvoirs ce serait quand même plus simple.

27 janvier 2020

Caramélisé

« Plus on a envie de se suicider, plus on aime le flan au caramel » (Clemih Olh, Sonica mon lapin )

9 janvier 2020

Béat

La peur la plus sérieuse d'Emil Cioran ?  Devenir un saint !

29 décembre 2019

Botaniste

Le cacaoyer planté dans un pot esthétique et fonctionnel aura tout du clown tropical contraint. C’est pourquoi l’esthète qui sommeille en nous devra éviter ce type de fomentations improbables. Dans nos contrées tempérées contentons-nous de modestes fougères, laissons les vivre en plein air, en bord de sous-bois, sans ostentation et supportant sans peine la longanimité de nos regards. Quant aux arbres exotiques, cacaoyers et autres calebassiers, sachons les apprécier chez eux et sur place, un daïquiri dans la main gauche et un havane au coin du bec.

22 décembre 2019

Velléitaire

Amis oblomoviens n’entamons pas une lutte fatigante contre la « start-up nation », laissons là simplement se déliter jusqu’à sa propre disparition, cela me semble une plus que parfaite non-initiative.

17 décembre 2019

Moyen-Oriental

Les comploteurs s’asticotent à l’ombre des tilleuls, 
le cheikh suçote un sérieux narguilé avec un drôle d’air cauteleux, 
au loin deux dromadaires blatèrent, 
le Colonel Lawrence a encore laissé traîner sa djellaba.

14 décembre 2019

Ionescien

Sa fille travaillant fort mal au lycée Eugène Ionesco prit l'idée d'écrire l'une de ses dissertations. Résultat un beau quatre sur vingt et cette appréciation du professeur : « puéril ».

11 décembre 2019

Douché

Pour être désenchanté, il faut avoir été enchanté. Alors, ne me regardez pas avec ce petit air pincé, je les ai eus mes moments sautillants !

6 décembre 2019

Magnifique

Mon vélo dissimulé, 
Pneus crevés, dans un fossé, 
Je vais à pied sur la route 
De mon enfance, coupée 
Par des arbres abattus. 

 (Henri Thomas, Joueur surpris)

Unicellulaire

Vous allez rire ou pleurer, mais il faut que vous sachiez que mes journées ressemblent de plus en plus aux journées d'un poulpe ou d'une méduse. Pire en mieux, j'ai la tenace certitude que mes journées ressemblent aux journées d'une amibe. Bref, je suis plein d'un irrépressible entrain unicellulaire.

28 novembre 2019

Tarabiscoté

Arno Schmidt vivait dans une maison entourée de grillages et de barbelés dont il ne sortait pour ainsi dire jamais. Un drôle de croquignolet qui ne pouvait manger que seul avec lui-même et travaillait jour et nuit tout en multipliant les attaques cardiaques comme d’autres multiplient les petits pains. Résultat une prose tarabiscotée, des mots valises, des lexies inusitées, un Joyce en pire… Il suffit de lire trois pages de Scènes de la vie d’un faune pour s’en convaincre : ce type était ailleurs, mais où ?

14 novembre 2019

Fichu

« Aussitôt l’enfant né, on le lavera avec soin, puis après lui avoir donné le temps de se remettre de ses premières impressions, on le fustigera vigoureusement en lui répétant : “N’écris pas ! N’écris pas ! Ne sois pas écrivain !” Si, en dépit d’une pareille correction, le dit enfant manifeste une inclination pour la littérature, on essaiera alors la douceur. Et si la douceur ne donne pas non plus de résultat, abandonnez donc l’enfant à sa destinée et inscrivez “fichu”. Le prurit littéraire est incurable. » (Anton Tchekhov, Règles du jeu à l'usage des écrivains novices)

18 octobre 2019

Colérique

Le 7 août 1965, Emil Cioran est victime d'une crise de colère dans le hall de la gare d'Austerlitz. Une employée insolente est responsable de cet emportement que l'on imagine sans peine un peu trop voyant. L'ami Emil en sera malade toute la matinée. Dans l'après-midi, l'accalmie venant il remarquera « que la vie est intolérable dans un pays où tout le monde est aussi irascible que lui [moi] ». Dans les extraordinaires Pensées de Joubert parues 115 ans plus tôt, en 1850, on peut lire ceci : « Il y a dans la colère et la douleur, une détente qu'il faut savoir saisir et presser ».

24 septembre 2019

Généalogique

Mon grand-père paternel avait 21 ans lorsqu'en 1940 lors de la finalement si peu drôle de guerre il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne dans un Stalag saumâtre situé non loin de la frontière hollandaise (Stalag VI-B à Versen). C'est là qu'il contracta la tuberculose qui allait le tuer 25 ans plus tard, en 1965 un an avant ma naissance. Je n'ai donc pas connu ce grand-père et aujourd'hui je dois bien constater, non sans un grand pincement ontologique, que je suis bien plus vieux qu'il ne l'aura jamais été. Si je vous ennuie avec tout ça, c'est parce que j'ai depuis peu en ma possession une belle et unique photographie où ce grand-père apparaît en tenue militaire. Il tient un livre dans la main droite et sourit avec cet air doux et un peu narquois assez caractéristique de la famille. La ressemblance est frappante, mais quelque chose achoppe, le doute demeure, et si ce beau jeune homme n'était pas mon grand-père ? Selon le registre des prisonniers de guerre disponible sur le site Gallica, mon grand-père était Caporal or, le soldat photographié ne semble pas plus gradé que ça. Serais-je dans l'erreur ? Aurais-je affaire à un illustre inconnu, un lointain cousin ? La seule chose dont je suis certain, c'est qu'en regardant cette photographie, je regarde un spectre : « La Photoportrait est un champ clos de forces. Quatre imaginaires s’y croisent, s’y affrontent, s’y déforment. Devant l’objectif, je suis à la fois celui que je me crois, celui que je voudrais qu’on me croie, celui que le photographe me croit, et celui dont il se sert pour exhiber son art. Autrement dit, action bizarre : je ne cesse de m’imiter, et c’est pour cela que chaque fois que je me fais (que je me laisse) photographier, je suis immanquablement frôlé par une sensation d’inauthenticité, parfois d’imposture (comme peuvent en donner certains cauchemars). Imaginairement, la Photographie (celle dont j’ai l’intention) représente ce moment très subtil où, à vrai dire, je ne suis ni un sujet ni un objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet je vis alors une micro-expérience de la mort (de la parenthèse) je deviens vraiment spectre. » (Roland Barthes, La Chambre Claire).

9 septembre 2019

Atrabeyliste

Le mercredi 24 mars 1813, Stendhal est froid, absent de toute passion, spleenétique pour tout dire. Le samedi 27 mars 1813, sa froideur perdure. Le mercredi 31 mars 1813, il se rend chez Mme Durbeill qu'il trouve insignifiante de bêtise. Voilà une « faveur passée » comme une fleur (elle était belle en 1810).

8 septembre 2019

Poulotien

 « Vivre ne fait pas toujours grossir, ou maigrir. Moi, ce qui m'a donné un peu plus de poids, c'est la routine sexuelle. Question de glandes. Quand j'ai eu fait l'amour régulièrement – c'est assez lointain – je me suis aperçu que je grossissais. Non. Que je gonflais. Bien connu. Alors qu'avant, les rares gestes amoureux que je manifestais avec ces dames me faisaient plutôt:maigrir. Mai vrai, depuis que je suis, comme on dit, marié, j'ai pris un peu de ventre, des joues, de la poitrine. Mêmes les poils se sont multipliés. Ce sont des choses qu'on remarque, qu'on accepte. On s'aperçoit. Curieuse expression. Les gens qu'on rencontre ne sont pas les derniers à s'apercevoir. On vous préférerait maigre. Exsangue. Je crois tout de même que le fait de vivre empâte, gonfle. Pourrit. Quand j'ai bu un peu trop, je me sens gonflé, plein de liquide. On me dit que j'ai bonne mine. L'air de la mer. Parle toujours. J'ai trop bu, c'est tout. On a une idée très nette de sa santé. De sa poire. Je sais quand je vais bien. Quand je vais un peu plus vite vers la mort, qui s’éloigne. Il est amusant de constater que c'est quand on est lent – sans tête, sans vigueur – que la mort, somme toute, est le plus près. Les hommes parlent rarement des choses quotidiennes. Je me demande souvent pourquoi. Qui veulent-ils tromper ? Parler de sexe, c'est facile. C'est du luxe. Mais Freud n'aurait jamais existé si les hommes n'avaient sottement éprouvé le besoin d'inventer ce qui les dépasse, mais est leur peau même. Ce qui leur nuit. Ce qui est leur nuit. Auprès de laquelle celle qui me tombe sur le dos paresseuse. » (Georges Perros, Papiers Collés)

17 juillet 2019

Ragoutant

En Kirghizie pendant les festins on vous présente sur une assiette, la tête bouillie d'un mouton. Il faut manger la cervelle puis extraire l'un des deux yeux de la bestiole et l'avaler séance tenante. Le maître des lieux gobe l'autre œil. Avouons-le, tout cela n'est pas très végan.

15 juillet 2019

Sépulcral

Emil Cioran trouvait le Père-Lachaise si laid qu'un jour de juillet 1965 il émit le souhait que ce trop fameux cimetière soit rasé séance tenante et transformé en jardin public. Disons le tout net, sur ce coup-là notre fildefériste roumain préféré n'avait certainement pas tort d'avoir encore raison, le Père-Lachaise n'offre qu'un entassement de sépultures qui frise la foire, tout manque d'espace, pour les vivants et encore plus pour les morts. L'ami Emil, lui, sera enterré au cimetière du Montparnasse, un cimetière plus aéré où les morts respirent presque autant que les vivants… Sa tombe est bien tenue et quasi chantante, il y a un petit drapeau roumain et quelques fleurs posées dessus. Plus loin, la tombe de Beckett est plus austère, elle est décorée par trois cailloux, et rien d'autre…

8 juillet 2019

Saharien

Feuilletant les cahiers de l'ami Cioran je constate que ce dernier n'était pas un très grand sectateur des naines jaunes en furie : « Il n'y a pas sous le soleil d'individu plus lamentable que moi ». Comme j'aime le soleil, mais pas tout le temps, j'ai envie de souffler à mon fildefériste roumain préféré que tout dépend de l'hyperthermie plus ou moins prononcée, de la présence d'une brise légère, d'un cumulus passager offrant un alinéa de climatisation toute naturelle, le soleil de Madère n'est pas celui du désert libyen, le soleil d'avril pas celui de juillet, les tiédeurs ne sont pas toutes les mêmes, et il m'est même arrivé de me trouver bien lamentable dans des froideurs trop patibulaires pour être honnêtes.

5 juillet 2019

Suicidaire

« On se suicide par pudeur, par orgueil, par modestie, par discrétion, par peur de la mort (ce qui est un comble) ou des gendarmes ; par lassitude, par vengeance, par plaisir, parfois même par curiosité. Le chinois se suicide pour embêter son créancier, l'homme-torpille par patriotisme ; le Britannique par spleen ; un Écossais se pendit parce que les gilets ont trop de boutons. "Aujourd'hui, tout le monde vit !" me disait une jeune fille avec un air scandalisé. Il y a évidemment trop peu de gens qui se suicident ; ce ne sont jamais ceux qu'il faudrait.» (Alexandre Vialatte, Chroniques de la Montagne)

19 juin 2019

Sétois

Visitant la cathédrale de Chartres Paul Valery, oui Paul Valery le docte sétois, reste en admiration devant quelques beaux vitraux. Il est ravi par leur aspect granulé, des « grains de merveilleuses pierreries, des grenades de paradis » par leur combinaison de bleus et de rouges… Il est ravi par tout cela et il pense, allez savoir pourquoi, au très lactescent Mallarmé : « Certaines phrases du Mallarmé en prose sont vitraux. Les sujets importent le moins du monde – sont pris et noyés dans le mystère, la vivacité, la profondeur, le rire et la rêverie de chaque fragment – chacun sensible, chantant… » .

24 mai 2019

Aligné

Dans Connaissance de l'Est Paul Claudel, oui Paul Claudel l’ambassadeur sybarite, constate que les rues des villes chinoises sont faites pour un peuple habitué à marcher en file indienne (ce qui ne manque pas de sel pour des Chinois). Ainsi, chaque quidam prend place dans un rang qui ne semble jamais vraiment commencer et ne jamais vraiment finir, mais qui forme un tout parfaitement aligné. Les maisons qui bordent les multitudes de rangs ressemblent à des caisses défoncées, mais bien rangées, dans lesquelles un esprit futé à aménagé des interstices où les habitants dorment orthogonalement au milieu de marchandises diverses et variées : « N'y aurait-il pas des points spéciaux à étudier ? la géométrie des rue ? la mesure des angles, le calcul des carrefours ? la disposition des axes ? tout ce qui est mouvement ne leur est-il pas parallèle ? Tout ce qui est repos ou plaisir, perpendiculaire ? »

8 mai 2019

Mathématique

« Je ressens à un très haut point la philosophie des nombres. Des équivalences d'une arduité éberluante se présentent tout à coup à mon esprit comme étant d'une évidence à quoi l'art le plus expert ne peut rien supplémenter. Je fonce de la tête et tombe juste. C'est comme si un phare, alors que les ténèbres environnent, balaye d'un jet dévorateur tout une région. Est-ce que je me vante ? Non, je suis vraiment ainsi. Je comprends tout tout de suite, mais il me faut des moyens qui n’abâtardissent pas je ne dirai pas intelligence – je répète que je n'en ai pas beaucoup -, mais le sens d'une illumination continuelle qui est ma façon de procéder dans la mise au net de importe quel problème ». (Charles-Albert Cingria, Le Carnet du chat sauvage)

14 avril 2019

Printanier


Le refleurissement pointe le bout de son nez,
la tiédeur enfle chichement,
les oiseaux gazouillent piane-piane,
tout semble bercé par une tendre anabiose vernale et voilà que soudain…
par la fenêtre entrebâillée de l'un de mes voisins,
horreur et damnation
monte et redescend le son d'un djembé frappé,
consciencieusement.

Maudit printemps !

20 mars 2019

Pouétique

Les sourires courts.
Des violons printaniers.
Ravivent mon palpitant. 
D'un élan.  
Capricant.

13 mars 2019

Tired

My shell of weariness is my new house.

11 mars 2019

Sensible

Stendhal était un si grand sensible qu'il lui poussait au débotté des pensées ayant tout du charmant, mais aussi beaucoup de la promptitude éphémère. Ses élans tonitruaient comme des éclairs et il lui fallait donc les consigner très rapidement, en somme retranscrire en plein vol ce qui lui passait par l'émotion. On concédera aisément que l’exercice soit périlleux. Allez saisir des éclairs ! Allez les réécrire sur le papier !

16 février 2019

Circulaire

L’observateur neutre et attentif constatera avec moi que le mouvement dit des « gilets jaunes » est devenu un tantinet problématique lorsqu'il a pris la drôle d'idée de vouloir quitter le circulaire des ronds-points pour se complaire dans la fausse fluidité des monômes supposément rectilignes. En somme, voilà encore des types, et des typesses, qui avançaient mieux lorsqu’ils, et elles, tournaient en rond.

14 février 2019

Apragmatique

Mon canapé est un rocher, je suis une moule.

28 janvier 2019

Distant

Plus qu’un quelconque point de friction avec le monde, il me faut rechercher la distance, cet écart sans lequel je ne saurais vivre, cet écart qui peut aussi être un blanc, une marge, un interstice. Voilà pour pouvoir vivre, il me faut des blancs, des marges, des interstices ! Donnez-moi des blancs, des marges, des interstices !

25 janvier 2019

Inoccupé

« … Je suis d'avis que sans oisiveté le vrai bonheur est impossible. Mon idéal : être oisif et aimer une fille plantureuse. La volupté suprême, pour moi : marcher ou rester assis, mais ne rien faire ; mon occupation préférée : collectionner ce qui ne se fait pas (des petites feuilles, des brins de paille et ainsi de suite)… » (Anton Tchekhov, lettre à Lydia Mizinova).

5 janvier 2019

Footballistique

George Perros aimait beaucoup le football. Il se rendait régulièrement au stade et il lui arrivait même d'entrer sur le terrain, comme ça au débotté, lorsqu’un joueur de L'Union sportive laïque Douarneniste venait à manquer. Sur la feuille de match, il signait alors «Tchekhov », c'était assez drôle.

24 décembre 2018

Festif

« La ville est vide, le ciel couvert, presque noir. On dirait l’attente d’une catastrophe. Réveillon selon mon cœur. »  (Emil Cioran - Cahiers, 24 décembre 1966)

11 décembre 2018

Magyar

Le hongrois est généralement un type robuste, mais assez nostalgique. Il faut dire que pour la robustesse il a de qui et de quoi tenir. Que voulez-vous il découle d'une peuplade qui des steppes d'Asie Centrale à l'Oural, de bords de la Mer Noire à la Pannonie ne cessa de gigoter pour mieux se fixer dans une plaine européenne, ou presque. Quant à la nostalgie, n'en parlons pas. Le hongrois primitif ayant eu bien du mal à tenir en place son descendant inconsciemment, ou pas, sera toujours nostalgique des territoires, qui l’on fait, mais qu'il n'a pas occupé ou traversé ( disons que le hongrois est nostalgique de sa steppe initiale).

10 décembre 2018

Asservi

Dans la Gaule romaine, le serf possédait une maison, une famille, un champ. La contrainte sociale glissait de ses épaules jusqu’ à la terre et il n'était donc plus vraiment esclave. Il le redeviendra un peu plus tard au temps des Carolingiens (qui était quoiqu'on en dise assez peu francs du collier). Évidemment, vous me direz que tout cela est très loin des « gilets jaunes » qui nous occupent et vous aurez raison.

2 décembre 2018

Peinturluré

Soutine avait la bonne habitude d'essuyer ses pinceaux sur ses vêtements : le résultat était inoubliable*. 

 *Merci Braudel

15 novembre 2018

Zoologique

Dans l'une de ses lettres Anton Tchekhov, parle d'une mangouste bien rigolote qu'il avait rapportée de Ceylan. Cette mangouste, qui fait peur à ses deux teckels Brome et Quinine et qui tire la barbe de son père finira un peu penaude dans un zoo moscovite. C’ est certainement l'un des « animaux d'écrivains » les plus singuliers que l'on pourra trouver sur le marché. Oh il y a bien ce homard que Gérard de Nerval promenait en laisse, mais nous sommes là dans des altitudes de croquignolerie animale quasi indépassable. Puisqu'il est question d'animaux et d'écrivains je me suis souvenu, allez savoir pourquoi, de quelques couples assez fameux : Maïakovski et son bulldog Boulka, Perec et et son chat Délo, Cocteau et son siamois Karoum, Céline et son gros matou Bébert, Céline et le perroquet Toto, Céline et la chienne Bessy, Houellebecq et Clément, Kurt Vonnegut et Pumpkin, Valery Larbaud et l'hippopotame du Jardin zoologique de Lisbonne. Ad lib.

1 novembre 2018

Saturnien

Sylvia Plath était indubitablement une très grande poète (je n’écrirai jamais poétesse). Cependant, elle n’était pas vraiment rigolote. Cette photographie où on peut la voir sourire tout en gambettes et chaussettes en laine trompe donc un peu l'ennemi.

14 octobre 2018

Raté

« Raté. Pour rater sa vie, il faut avoir souhaité une réussite. Qu'est-ce à dire ? Le raté est celui qui a renoncé à l’énergie de sa décision. Qui fait passer par les autres, par leur verdict, leur amour et leur haine, bref leur témoignage, ce qu'il eût dû garder secret. De la grande majorité des hommes nous ne disons pas qu'ils sont ratés. Mais de certains êtres qui donnent à leur situation anecdotique un je-ne-sais-quoi de regrettable. Il y a très peu de vrais ratés. De ratés réussis.» (Georges Perros, N.R.F. n°134, 1er février 1964)

2 octobre 2018

Primesautier

Ce mot de Kierkegaard chez l'ami Cioran (dans ses Cahiers) : « Je me suis lancé dans la vie avec une voie d’eau dans la cale dès le début. », croquignolet, n'est-ce pas ? Remarquez que les débuts de Rousseau étaient presque pires en mieux : « je naquis infirme et malade. Je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs. »

27 septembre 2018

Autotuné

L'ondée passée, 
les fenêtres ouvertes à la fraîche, 
et derechef s'élève au loin,
le tohu-bohu autotuné des enceintes nomades,
que l'on aura connectées,
au débotté.

20 septembre 2018

Valétudinaire

Ayant « traversé la rue » je suis tombé sur ce graffiti un brin valétudinaire. Me voilà dubitatif.

16 septembre 2018

Voyageur

En avril 1890 Tchekhov entame un long périple qui le verra traverser Russie et Sibérie jusqu'à l'île de Sakhaline. Il commence par quelques verstes de navigation sur la Volga, visite Iaroslav et la trouve très sale – j'ai moi-même visité cette ville et je n'y ai vu que des jeunes gueux ivres de vodka et de bien nombreuses hordes de chiens errants – puis c'est Kostroma qui est plus jolie (je confirme). Après la Volga voilà la Kama, un fleuve d'un ennui extrême qui traverse des villes grises où les habitants semblent employés à la fabrication des nuages, de l'ennui et des palissades mouillées. Tchekhov poursuit sa route en train puis dans une voiture qui ressemble plutôt à une carriole brinquebalante, il passe par Perm, Iekaterinbourg, Tomsk (qui ne vaut pas un liard), Irkoutsk (la meilleure), traverse le Lac Baikal, voilà enfin l'Asie, le fleuve Amour, la Chine d'un côté, la Russie de l'autre, des canards, des rochers, des falaises, des paysages qu'il ne sera pas près d'oublier : « J'ai vu, à dire vrai, tant de splendeurs et éprouvé tant de délices que mourir maintenant ne me fait pas peur. »

6 septembre 2018

Techkovien

Le printemps 1889 que Tchekhov passe à Soumy en Ukraine loin des frimas moscovites pourrait être presque parfait. Le temps est splendide, les arbres couverts de fleurs blanches ressemblent à des « fiancées à la noce » ; rossignols, hérons, coucous et autres bestioles à plume s'égosillent à qui mieux mieux. On se lève tard, de l'eau fraîche jusqu'aux genoux on pêche des écrevisses à la main, on boit un peu, ou s'oublie. Bref rien d’assommant… Pourtant, cela ne durera pas, l'été arrive, il ne pleut pas, la canicule est effroyable. Le 17 juin Nikolaï, ce frère artiste soûlographe et poitrinaire qui l'accompagnait dans le midi, meurt. La tristesse est grande, mais la lumière toujours là : « Les funérailles ont été splendides. Selon la coutume méridionale, on l'a porté à bras dans l'église et de l'église au cimetière, sans croque-morts et sans sinistre corbillard, avec des oriflammes, le cercueil ouvert. Des jeunes filles portaient le couvercle, et nous, le cercueil. À l'église tandis que nous le portions, les cloches sonnaient. On l'a enterré dans le cimetière du village, très douillet et paisible, où en permanence chantent les oiseaux et flotte une odeur de chanvre d'eau ».

16 août 2018

Digressif

Cingria est un drôle de cycliste. Il se perd dans d’exquis chemins bitumés et nous nous perdons dans sa prose, souvent exquise elle aussi. Saute mouton et digressions, trébuchements et évanouissements, on oublie une ligne et nous voilà déjà ailleurs, dans un colimaçon baroque, des teintes déjà un peu orientales, Raguse c'est déjà un peu l'orient.

13 août 2018

Démissionnaire

J'ai longtemps eu la certitude que le monde s'ouvrait à moi, que je pouvais en disposer à ma guise, comme d'un « domaine ouvert ». Pourtant, l'âge aidant, je constate que c'est lui qui dicte sa loi et son bon vouloir. Une courte lutte s'est instaurée, n'en sortant pas vainqueur, il ne faut pas lutter avec le monde, j'ai décidé de lui laisser tenir la bride et mes aspirations se sont aussitôt déplacées ailleurs, plus haut, dans les limbes.

8 août 2018

Antipoétique

Pour Gombrowicz il faut que la poésie soit mêlée à d'autres éléments plus prosaïques. Qu'elle ne soit pas cette mélopée monotone et sans cesse sublime que l'on s'inflige comme on pourrait s'infliger un extrait pharmaceutique. Bref, la poésie devrait savoir éviter la pureté comme la peste et n'être que composite, trouble, abâtardie et au grand jamais cette essence pédantesque qui ne résiste jamais à l'épreuve du réel.

2 août 2018

Climatique

Pour 2035 on annonce des cigales en Normandie, du vin de Bordeaux en Bretagne et des coups de soleil sur les plages de Knokke-Le-Zoute. Ces perspectives « nostradamusesques » me semblent bien inquiétantes.

8 juillet 2018

Alpestre

« La plaine incurve les arcades sourcilières, arrondit théoriquement ou aplatit les chairs, unifie et départicularise l'esprit, rend aimable, disert, facile, inventif, mais, dans le même temps que tout cela, rend idiot ; car il faut une philosophie de chacun qui ne soit pas codifiée et, de temps en temps, des soubresauts qui interrompent l'horizontalité d'une vie en masse autorisant à ne douter de rien. Il faut au contraire douter, s’arrêter, insondablement et brusquement se souvenir » ( Charles Albert Cingria, Pendeloques Alpestres).

6 juillet 2018

Motocycliste

Jadis je me déplaçais juché sur une motocyclette noire. Je me lançais sur les chemins bitumés avec la célérité d'un pégase puissamment ailé et tout défilait autour de moi à des vitesses proprement vertigineuses. Tout cela est de l'histoire ancienne ma motocyclette noire s'en est allée dans un saumâtre carambolage et à présent je me déplace sur mes deux jambes, en boitant un pas après l'autre. J'ai perdu en ivresse ce que j'ai gagné en qualité d'observation.

1 juillet 2018

Beyliste

Sur le chemin, qui le mène de Rome à Naples Stendhal remarque qu'à l'alternat il se souvient avec tendresse de cinq femmes. Il croit être vraiment amoureux de la première lui venant à l'esprit (la fameuse Angela Pietragrua) et se surprend même à penser à elle avec rêverie plus de sept ou huit fois par heure, mais un rendez-vous au débotté avec l'une des quatre autres lui ferait tout de même un plaisir tendre. Arrivé à Naples les battements de son cœur revenus dans des rythmes moins frémissants il oublie un peu ses douces amies. On le loge à l’Auberge Royale d'où il voit le Vésuve, mais pas la mer. Il visite Pompéi et Herculanum, mais bâille et s'endort au milieu du théâtre San Carlo. En haut du Vésuve il constate que l'enfer ne bout pas au fond du cratère, mais que la vue est la plus belle du monde.

28 juin 2018

Paresseux

La paresse est une sagesse, une guérison et une distraction. Je ne connais guère de paresseux moroses.

5 juin 2018

Inquiet

Je subsiste sans grandiose souffrance, 
mon petit monde est simplement attaché à l'une de mes chevilles, 
et je ne le sens pas peser, 
je suis seulement un peu inquiet.

4 juin 2018

Impavide

Les minutes fondent en heures, l'herbe pousse, je reste sur mon quant-à-moi, stoïque.

3 juin 2018

Étonnant

« Je suis allé chez Ostende, boutique à la mode, et me suis payé une paire de souliers jaunes qui se sont révélés trop étroits. Je suis revenu dans ce magasin pour échanger ma paire contre une paire se souliers exactement de la même taille et de la même façon, paire en tout point identique, qui s'est révélée aussi étroite que la précédente. Il m'arrive de m'étonner moi-même. » (Witold Gombrowicz, Journal)

19 mai 2018

Pendu

Gérard de Nerval est suspendu par le cou à sa petite grille, ses pieds à deux centimètres du sol, le voilà mort. On se bouscule pour voir le cadavre, son enterrement, l’enterrement de « ce pauvre Gérard », sera un petit événement. On oubliera bien vite sa tombe.

18 mai 2018

Vélocipédiste

« Si je vais aussi vite dans les cols, c'est parce que je veux abréger mon agonie ». (Marco Pantani)

12 mai 2018

Allégé

J'aimerais moi aussi être sur le faîte des arbres, dans ces zones indécises et extra sphériques, loin de toute pesanteur puisque la pesanteur n'est pas naturelle à l'homme que je suis. Comme mon envol est impossible, je le rêve, comme je ne voudrais que voler je ne fais que rêver.

10 mai 2018

Sensible

Tout ce qui compte vraiment en littérature, et ailleurs, c'est surtout et avant tout la sensation, la touche plus que l'analyse, l’inspiré, l’irraisonné, l'ingénu contre les idées ? Peut-être...

2 mai 2018

Actif

L'activiste n'est qu'un badaud du surmoi.

17 avril 2018

Las

J’utilise toutes mes forces au labeur, je n’en ai plus pour écrire. Pourtant, je persiste dans l’idée de vouloir écrire, aveuglément, un peu par bravade inconsciente envers ma fatigue, dans des phrases qui ne s’élèvent plus, des phrases qui perdent tout sens, toute musique, des phrases pour rien. Tiens ouvrant le Journal de Stendhal je tombe sur celle-ci de phrase : « Je n’en puis plus, je suis usé, épuisé jusqu’à la dernière goutte, au moral et au physique, mais il faut que j’emploie cette dernière goutte à décrire ce qui m’a mis dans cet état ». Il n’y a rien de plus en accord avec mon état actuel que cet épanchement las de l’ami Beyle, cette fameuse goutte je l’utilise, aussi et ici, quotidiennement, elle est là pour vous rappeler mes épuisements, que mes épuisements me font, que je ne suis plus qu’épuisement et que sans eux et la goutte qui les authentifient, je serai, sec et muet, comme une carpe en plein air.

10 avril 2018

Climatique

Dois je avouer mon amour immodéré pour les « stations climatiques » ?

6 avril 2018

Moustachu

 « Je suis ce jeune homme en habit que l’on voit, la nuit, boire des boissons américaines dans les bars élégants, entre des créatures aux épaules nues qui ont des chapeaux extravagants. » (Edmond Jaloux)

20 mars 2018

Heureux

Journée mondiale du bonheur et du bien être : « Je n’ai connu des états de bonheur débordant qu’à la suite de troubles nerveux, d’insomnies prolongées, de douleurs sans raison, et d’anxiétés intolérables. Compensation ou conclusion naturelle ? », « Le malheur est qu’un bonheur conscient n’est plus un bonheur et qu’un bonheur qui s’ignore n’en est pas un davantage. » (Cioran, Cahiers). « Si seulement le jour et le bonheur pouvaient ne jamais venir ! Si l’espoir pouvait ne jamais connaître la déception de se voir comblé ! » (Pessoa, Le livre de l’intranquillité)

16 mars 2018

Beyliste

Le journal de Stendhal n’est que le procès-verbal de sa manière d’être.

6 mars 2018

Épatant

« Le temps est beau, la campagne est verte, le soleil est chaud. J'ai une chaise longue épatante » (Raoul Dufy, 1907)

24 février 2018

Divin (et noué)

J'ai vécu l'une de mes plus belles épiphanies méditerranéennes à Antibes, marchant sur ce qui reste des remparts entourant la vieille ville, le ciel bleu saturé, la mer presque turquoise, les voiles blanches des navires de plaisance flottant avec une douce obsolescence dans un air raisonnablement tiède, tout cela me passa par les yeux, le nez, les oreilles, pour mieux redescendre vers ma poitrine où je ressentis un pincement que je dois bien caractériser comme d'essence divine. C'est pourtant à quelques encablures de ces lieux raisonnablement idylliques, qu’un jour de 1955 on retrouva le corps écrasé de Nicolas de Staël. Le peintre s'était défenestré dans un moment d’égarement et l'issue fut fatale, forcément fatale. À l'angle de La Promenade amiral de Grasse et de l'impasse Revely le petit immeuble moderne-désuet qui lui servit de « plongeoir homicide » est toujours là. On a collé une plaque commémorative dessus, les touristes égarés la photographient avec un contentement penaud, ceux qui savent vraiment la regardent avec un nœud dans la gorge.

19 février 2018

Péremptoire

Les grands critiques n'analysent pas, ne décryptent pas, ils choisissent.

15 février 2018

Bleu

Pour Hölderlin il n’y pas de ciel bleu. Il n’y a que de l’éther, un éther flottant dans un espace où plus rien n’est à imaginer. C’est l’âme du monde, la synthèse de l’air et de la lumière. Quand il est question de ciel bleu Kandinsky n’est pas si loin d’Hölderlin que ça : « À mesure qu’il s’éclaircit, ce qui lui convient le moins, le bleu prend un aspect plus indifférent et paraît très lointain et indifférent à l’homme, comme un haut ciel bleu clair. Plus il s’éclaircit, plus il perd de sa résonance, jusqu’à devenir un calme muet, devenir blanc. »

12 février 2018

Sybarite

On comprend aisément pourquoi Paulhan l'aimait beaucoup : Cingria a la prose toute bizarre ! Une sorte de franco-albanais-turc un peu sybarite et assez singulier. Des assemblages comme on en rencontre peu, des phrases secouées dans une grande boite avant d'être jetées sur le papier. Tout cela est bien curieux, le lecteur peut être décontenancé.

23 janvier 2018

Engagé

Dans l'inépuisable série « littérature et engagement » ces quelques lignes du camarade Aragon : « Ce prix porte le nom du plus grand philosophe de tous les temps ; de celui qui éduque les hommes et transforme la nature ; de celui qui a proclamé que l'homme est la plus grande valeur sur terre ; de celui dont le nom est le plus beau, le plus proche, le plus étonnant dans tous les pays pour tous ceux qui luttent pour leur dignité, le nom du camarade Staline. » Sinistre n'est-ce pas ? Les débuts du petit Louis n'avaient pourtant presque rien de sinistre. Le Traité du Style et le Paysan de Paris sont d'un tonneau assez léger, ils ne préoccupent pas de faire le bonheur du peuple et c'est très bien ainsi. Aurelien est un beau témoignage sur l'immédiate après première guerre mondiale (le Gilles de Drieu se voudrait d'un tonneau avoisinant). Les Voyageurs de l'impériale et la Semaine sainte sont presque séduisants, presque sans graisse, presque hypocalorique … Comment Aragon en est-il arrivé là ? Une somme de lourdeurs, croire qu'il y a du bien et du mal un peu partout, et puis vivre, vivre est un problème.

20 janvier 2018

Inhibé

J'ai guéri un peu de ma timidité en laissant affleurer ma bêtise. C'est un bon remède.

12 janvier 2018

Intimidé

« C'est le propre des timides que de rire ou de sourire niaisement au mauvais moment, et de ravaler leur salive pour tout à coup laisser échapper un flot de formulations hasardeuses qui passent pour de l'injure, du mépris, de l'arrogance. La parole nous devrait être interdite, à nous les timides ; elle devrait s'étrangler en nous. Nos vies et la vie des autres en sauraient adoucies. » (Frédéric Pajak, Manifeste incertain)

6 janvier 2018

Herbacé

Je n'éprouve plus rien en dehors des variations de température, je suis une plante, je bascule petit à petit dans l'inanimé.

5 janvier 2018

Attristé

Aharon Appelfeld n'était pas un « écrivain de la Shoah » c'était un Kafka sans tuberculose qui aurait vécu après avoir coudoyé la barbarie. Il est mort hier, il y a de quoi être triste.

29 décembre 2017

Placide

La pensée vole et les mots vont à pied. Ici, la pensée est le plus souvent dans une placidité orbitale et les mots sur eux-mêmes…

20 décembre 2017

Rassasié

Si tout ce qui est rare est précieux alors la musique que nous écoutions quand nous étions jeunes était précieuse, car rare. Nous n’étions pas saisis par l’abondance, les disques étaient difficilement trouvables. Quand ils étaient trouvables, il nous fallait parfois les acheter et souvent les voler. Que ce soit dans l’amour ou le rejet le rapport à la « chose écoutée » était donc forcément plus fort, plus crucial. Aujourd’hui tout est trouvable, nous pouvons voler sans risque, haïr faiblement et aimer mollement. Et puis de toutes les façons nous n’avons presque plus envie de rien, nous sommes assommés par l’abondance.

15 décembre 2017

Fatigué

J’ai constaté que si lorsque je suis fatigué, le romanesque, le voyageur, l’historique et l’intime me tombent des mains, le philosophique lui me sied parfaitement (et même le plus compliqué qui soit, même Wittgenstein). Mes états d’extrême fatigue ont peut-être la capacité de faire de moi une éponge ; une éponge qui s’ouvre devant le cogito d’autrui ; c’est déjà ça et ce n’est pas rien. 

P.-S. Bien évidemment lorsque je suis une éponge mon cerveau est incapable de la moindre compréhension. En l’occurrence, je ne suis qu’absorption, la lecture, le regard, la fausse petite étincelle du cogito ne sont que des étapes nécessaires, c’est ce qui reste de moi qui comprend, c’est mon corps qui comprend, et la fatigue l’aide à comprendre.